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croyait remporter l’absolution avec cette seule phrase : « Mon père, j’ai été jeune, j’ai été jolie, on me l’a dit, et je l’ai cru. » Observons aussi comme la vanité joue tous les personnages, même celui de la modestie, parce qu’il est de son essence de n’abdiquer jamais, d’apparaître au moment même où on la croyait anéantie, et de mêler ses subtils poisons aux actes de contrition les plus sincères. Et cette éternelle piperie de gloriole en vient au point de duper les dupeurs eux-mêmes, comme ces charlatans qui, après avoir prôné leur élixir, finissent par s’en trotter, bien qu’ils sachent à quoi s’en tenir sur ses mérites. « Je puis me rendre la justice de n’avoir jamais eu de mauvaises intentions, d’avoir été incapable de sentimens de haine et de vengeance ; mais j’ai eu si peu d’égoïsme que cette vertu est devenue en moi un défaut capital, parce que non-seulement je ne me suis jamais occupée de ma fortune, mais que je n’ai jamais réfléchi à ma conduite, ce qui m’a fait faire une infinité d’étourderies et de fausses démarches. J’ai beaucoup médité sur les intérêts des objets de mes affections, je n’ai jamais pris la peine de penser aux miens dans aucun genre ; de sorte que si j’avais ma carrière à recommencer avec le souvenir du passé, je ne ferais presque rien de ce que j’ai fait qui m’a regardée personnellement, excepté en littérature ; car je ne crois pas, en conscience, que dans la nombreuse collection de mes ouvrages, j’eusse raisonnablement plus de dix pages à retrancher. J’ai eu, à cet égard, du courage, de la persévérance, et les intentions les plus pures, et je me flatte que mes écrits ont été utiles, et en général le seront toujours. Mais la plupart de mes actions ont été d’une imprudence peu commune… » Ainsi les confessions de Mme de Genlis ressemblent un peu à celles de Proudhon et prennent la tournure d’une apologie : en revanche, le contentement de soi-même s’épanouit naïvement et n’admet aucune réticence[1]. On dirait, à la lire, qu’elle n’eut point de prôneurs, et prétend dicter à la postérité ce qu’il faut penser d’elle, comme un concile œcuménique impose aux fidèles sa doctrine sur tel ou tel dogme. Raconter les passions qu’on fait… ou qu’on ne fait pas, l’héroïsme avec lequel on sort des épreuves de l’amour, vanter à tout propos ses talens de comédienne et de harpiste, sa beauté, la délicatesse de son nez, ce nez tant célèbre en vers et en prose, ses livres pour lesquels on a eu à se plaindre de tout le monde excepté du public, car tout le monde l’a pillée, démarquée, vilipendée, et pourtant elle a combattu avec succès le mauvais goût en tout genre, tant

  1. Elle avait, en quittant la France, confié ses journaux à sa fille ; trois volumes sur sept furent perdus, mais elle s’en souvenait à merveille, les ayant lus à de nombreux amis, et elle put les reconstituer sans peine.