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des années. M. Bonnat est un des rares artistes qui s’efforcent encore aujourd’hui de dégager nettement, d’un masque humain, sa signification intellectuelle. Le Portrait de M. Renan prendra une des meilleures places dans cette série, déjà nombreuse, d’effigies sculpturales que M. Bonnat frappe chaque année en l’honneur de nos contemporains illustres, et qui formera, pour la postérité, une galerie des plus instructives. Le Portrait de M. L. Guy, par M. Jules Lelebvre, n’a point de si hautes ambitions, mais l’exactitude scrupuleuse du rendu, la sûreté et la délicatesse de l’exécution assurent à cette figure, d’allure si correcte et de physionomie si bienveillante, un intérêt durable ; c’est le digne pendant du Portrait de Mme Guy, l’une des meilleures toiles exposées par M. Jules Lefebvre au Champ de Mars, en 1889.

L’un des portraits en pied les plus complets que l’on admire aux Champs-Elysées, l’un des plus virilement exécutés, est celui de Kossuth, le dictateur de la Hongrie en 1848 ; il est dû à une femme, une Hongroise, Mme Parlaghy. Vieilli et blanchi, mais laissant voir encore, dans la fermeté de son attitude, dans la liberté de son mouvement, dans la vivacité de son regard, tous les signes de la vigueur physique et morale, le héros des Magyars ne se présente plus dans ce costume brillant, un peu théâtral, qui avait si fort contribué à le rendre autrefois populaire. Habillé de noir, en veston de chambre coiffé d’une calotte, assis dans son intérieur, on pourrait croire un bon fonctionnaire retraité, si la physionomie, énergique et douce, n’exprimait pas, par sa fierté reposée, la noblesse consciente de quelque âme supérieure. La simplicité nette et ferme avec laquelle l’artiste a su imprimer à la figure cet accent d’autorité morale est tout à fait remarquable. La gravité du coloris, presque réduit au noir pour l’ensemble et au blanc teinté pour les chairs, la solidité de la facture, nette, large, profonde, prouvent que Mme Parlaghy n’est pas seulement une virtuose en peinture, savante et habile, comme il en sort tant des écoles d’Autriche-Hongrie, mais une artiste personnelle et convaincue. Nous trouvons encore, à ce Salon, d’autres femmes qui ont su exprimer avec talent la force ou la grâce de nos contemporains ou de nos contemporaines, soit des étrangères telles que Mlle Schwartze, toujours brillante et coloriste, dans ses Portraits d’enfants ou Mlle Kitty Fornier, soit des Françaises, les unes plus énergiques et plus hardies, telles que Mlle Rongier dans son groupe, Portraits de Mme A. N… et de son fils, et Mme Delacroix-Garnier, dans ses deux portraits d’homme, M. N. M…, et M. D…, secrétaire-général du Sénat, les autres, plus souples et plus délicates, telles que Mlle Fontaine (Portraits de Mme V. de S… et de Mlle Jeanne L. N.), Mlle Carpentier (Portrait de Mlle Charlotte Vormèse), Mlle Bourdon (Portrait de Mme C…), et quelques autres,