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l’innombrable quantité de plaisantins qui prétendent nous faire rire avec leurs peintures, il n’y en a guère d’autre qui mérite vraiment le nom d’artiste.

La recherche des effets d’éclairages compliqués ou bizarres, produits par des lumières artificielles, est encore assez à la mode chez les peintres de genre. Quelques-uns en tirent bon parti, mais cela ne durera pas longtemps. De temps à autre, on voit, dans l’histoire de la peinture, réapparaître ce goût pour les combats et les chocs de l’ombre avec les lanternes, fanaux, chandelles, etc. Les grands clair-obscuristes, Corrège, Rembrandt, y ont pu sacrifier un moment, mais avec réserve, prudence et finesse ; ils trouvaient, avec raison, plus de ressources, et des ressources plus durables, dans les nuancemens infinis de l’aurore et du crépuscule ; en fin de compte, cela n’aboutit jamais qu’à des Honthorst, des Schalcken, des van Schendel, c’est-à-dire aux plus ennuyeux et aux plus monotones des peintres, même lorsqu’ils sont habiles. Dans sa scène intime, d’une impression mystérieuse, qu’il intitule Sacrifice (des lettres brûlées, au petit jour, par une femme en deuil et une jeune fille en blanc accroupies devant une cheminée), M. de Richemont fait preuve, certainement, d’une délicatesse extrême. Il possède une façon habile et distinguée de démêler et d’emmêler les lueurs du foyer, les lueurs de la lampe, les lueurs du petit jour avec leurs reflets sur les mousselines des rideaux et les tissus frais des vêtemens, mais toutes ces subtilités charmantes ne sauraient être souvent renouvelées : on s’apercevrait vite que la netteté et la solidité dans les figures sont des qualités plus nécessaires. Dans son tableau de Misère (un pauvre pianiste, à l’aube, dans un coin de riche salon, éreinté, somnolent, traînant ses maigres mains sur le clavier, tandis qu’au fond halètent un moment les valseurs), M. Richir, un Belge, l’auteur d’un bon Portrait de M. Ch. Hermans, oppose l’isolement d’une pénombre aux éclats lointains des lampes et accentue ainsi l’expression mélancolique de son personnage ; mais l’effet est trop connu pour nous surprendre encore. On en peut dire autant à propos de la toile de M. Bréauté, la Reprise, dans laquelle nous retrouvons deux ouvrières, en chemises flottantes, les épaules découvertes, comme toutes les ouvrières de M. Bréauté, travaillant à une robe de bal sous l’abat-jour d’une lampe. Le chiffonnement des mousselines, la décoloration des étoffes et des carnations, l’expression de fatigue résignée des visages sont rendus avec un sentiment d’artiste et de poète ; mais combien la main du peintre s’amollira vite en se livrant uniquement à de tels exercices ! Que deviennent MM. Destrem, Dessar, Duffaud, tous ceux qui sombrent dans ces vapeurs plus ou moins lumineuses ? D’autres chercheurs d’éclairages