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elle n’est qu’une impression de taches lumineuses, sans plus d’observation, d’invention, d’émotion ou d’esprit dans les dessous. Avec M. Jules Breton et avec les artistes de son école, nous n’avons point à craindre ces pauvretés. Quelle que soit l’importance donnée par eux à la poésie des délicatesses atmosphériques et lumineuses, s’ils placent des figures dans leurs paysages, ces figures seront toujours exactes et bien étudiées. Le groupe de moissonneurs étendus près des gerbes, en une étroite bande d’ombre, dans l’Été de M. Jules Breton, ses lavandières, agenouillées et battant leur linge, auprès d’un ruisselet, sur la grande plage, dans le Souvenir de Douarnenez, sont encore intéressans par eux-mêmes, bien que, cette fois, l’artiste les ait enveloppés, plus que d’habitude, dans la grande nature, en cherchant son principal effet dans la splendeur douce et tiède de la lumière fine qui les caresse et les transfigure. Dans l’Eté, la chaleur vivifiante du soleil déjà assoupi sur les chaumes fraîchement tondus et sur la vaste plaine silencieuse, dans le Souvenir de Douarnenez, l’exquise fraîcheur et la transparence légère de l’atmosphère marine par un temps serein, sont exprimées avec une incomparable sûreté. La petite Bretonne, debout, qui, dans ce dernier tableau, tricote sur la gauche, causant avec les lavandières, et s’enlève, presque en clair, sur le ciel clair, est un morceau exquis. Qu’on regarde aussi, à la distance voulue, la façon dont jouent les ombres et les reflets, dans les vêtemens de ces lavandières, à contre-jour, on y apprendra ce que devient l’étude sérieuse des phénomènes lumineux entre les mains d’un artiste consciencieux et ce qu’elle peut donner sans qu’il faille avoir recours à des affectations de procédés spéciaux, n’ayant le plus souvent d’autres raisons d’être que le besoin de se singulariser ou de fournir des estampilles de commerce plus voyantes et plus facilement reconnaissables.

On ne saurait parler de M. Jules Breton sans parler de sa fille, Mme Demont-Breton, qui poursuit toujours, avec une énergie plus que féminine, la recherche d’un style ferme et puissant dans la représentation des scènes familières. M. Jules Breton a toujours soutenu, avec raison, que tous les paysans et toutes les paysannes n’étaient pas des monstres de laideur abrutie, que, parmi eux, il se trouvait même de très beaux gars à mine intelligente et de très belles filles à physionomie noble, ce que savent d’ailleurs tous ceux qui n’ont pas mis, pour les voir, des lunettes de réaliste fanatique. Mme Demont-Breton croit aussi que c’est parmi les mères, les filles, les enfans des marins qu’on doit trouver aujourd’hui les corps les plus sains, les plus robustes, les plus agiles, et que si quelques contemporains peuvent renouveler naturellement ces belles attitudes et ces beaux mouvemens dont les rythmes