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sont-ils de force, comme l’ont été de grands Vénitiens et de grands Flamands, à faire oublier l’insuffisance ou l’absurdité de leurs fantaisies par l’éclat et la puissance extraordinaire de leur technique ? L’aventure est périlleuse à courir. Il est possible qu’une fois en place, le plafond de M. Benjamin Constant ne produise pas sur les yeux un effet aussi irritant qu’au Salon ; nous avons peine à penser, toutefois, qu’en obéissant plus naïvement à son tempérament propre, en peignant, avec force et calme, des figures solides et bien étoffées, fortement construites et franchement colorées, sur un fond brillant et clair, ce peintre expérimenté n’eût pas obtenu des résultats plus satisfaisans. On retrouve heureusement M. Benjamin Constant dans un portrait en pied de jeune homme, en costume de chasse, assis sur une table. Ce Portrait de M. Auguste L.., d’une tenue ferme et franche, d’une exécution nette et soutenue, montre même, chez le peintre, un progrès marqué pour le style et pour l’expression. La tête, fine et vive, les mains, bien construites et bien éclairées, les vêtemens, sûrement traités et sagement subordonnés, tout concourt à prouver que M. Benjamin Constant, une fois sorti de l’éblouissement des feux de Bengale, sera plus capable que jamais, en reprenant sa véritable voie, de traiter puissamment la figure virile comme il a déjà traité avec charme la figure féminine.

Un plafond de dimension moindre, les Fleurs, par M. Ferrier, est destiné, comme celui de M. Benjamin Constant, à décorer la salle des fêtes à l’Hôtel de Ville de Paris. Cette année, comme l’an dernier dans son plafond pour Berlin, M. Ferrier reste un Vénitien. Trois figures de femmes envolées, dans un ciel pur, belles, fraîches, souriantes, tenant, entre leurs bras, des corbeilles ou des guirlandes de fleurs, accomplissent gaîment leurs fonctions de bouquetières idéales. Cela, à coup sûr, n’est pas essentiellement moderne ; mais de tout temps, depuis le XVIe siècle, on eût trouvé cette agréable décoration bien dessinée et bien peinte. Reste à savoir comment ceci et cela, ce rose et ce jaune, ces essors tranquilles et ces gesticulations exaspérées, ce ciel d’azur et ces fumées de lampions pourront faire bon ménage dans le même local, sous la même lumière ! Ce n’est pas notre affaire. Dans ce concert sans chef d’orchestre, chacun jouant de l’instrument qui lui plaît, M. Ferrier s’est servi du sien, de celui qu’il connaît ; il a bien fait. M. Ehrmann, chargé de peindre, dans deux écoinçons pour la même salle, la Bretagne et l’Auvergne, n’a pas agi autrement ; il a fait de l’Ehrmann. C’est donc par la grande allure du dessin, non par la vivacité colorée, que se distinguent ces deux figures. Autant d’exécutans, autant de modes divers. Dans de meilleures conditions, M. François Flameng ayant, de son côté, pour un vaste