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que les peintures de Delacroix, par exemple, dans la galerie d’Apollon ou à la chambre des députés, sont armées de colorations assez éclatantes pour lutter contre la dorure éclatante des sculptures et du mobilier. La pensée est juste en elle-même, car le premier devoir d’une œuvre décorative est toujours de s’accommoder au caractère et aux exigences de son milieu. Efforçons-nous donc, pour le moment, de supporter avec résignation ce parti-pris de tonalités exaspérées et criardes avec l’espoir, un peu vague, que les reflets jaunes du gaz, superposés aux taches jaunes de la toile, détermineront un jaune moins redoutable. Mais que parlons-nous de gaz ? Ne sommes-nous pas des réactionnaires ? Si c’est l’électricité qui fonctionne, la fusée de M. Benjamin Constant pourra bien n’être pas assez jaune. Les chimistes, décidément, empêchent les peintres de dormir ; ceux-ci ont beau faire, ils n’arrivent pas si vite à décomposer les choses. Couleur à part, toutefois, il reste encore, dans une peinture, la conception, la composition, le dessin. Le sujet donné était Paris conviant le monde à ses fêtes. Dans l’espèce, ce ne sont que des fêtes de nuit : illuminations, feux d’artifices, pétards, etc. La ville de Paris est figurée par une Parisienne fin de siècle, chiffonnée, décolletée, maquillée, maniérée, qui coquette, maniant l’éventail, en une pose penchée, assise sur une nuée molle comme une maîtresse de maison sur sa chaise capitonnée. C’est donc tout à fait moderne. Certes, cette petite dame, douteuse et fatiguée, n’a plus rien de la grosse dame, pesante et digne, aux robustes appas, qui, d’habitude, représentait solennellement la Ville Lumière. Entre les deux allégories, l’une banale, l’autre incomplète, il y avait place peut-être pour une figure plus franche, plus intelligente, plus noble, rappelant avec plus de dignité ce que doit être pour les étrangers notre cher Paris, qui, après tout, ne leur offre pas seulement des plaisirs nocturnes ? L’hôtesse a d’ailleurs une singulière façon d’accueillir ses hôtes ; les émissaires qu’elle a chargés de ce soin, nus comme vers, se précipitent en avant et sonnent avec fureur en de longues trompettes comme les hérauts du jugement dernier, répandant l’épouvante et réveillant les morts. Les figures ont de l’élan, mais cet élan guerrier correspond-il au sentiment qu’ils doivent exprimer ? C’est à faire fuir les gens, non à les attirer ; et le mouvement minaudier de recul épeuré fait par la petite dame nous confirme encore dans notre inquiétude. Nous savons bien que toutes ces questions de logique dans la conception, de vraisemblance dans la composition, sont de celles qu’on affecte de dédaigner aujourd’hui, mais nous savons aussi que cette indifférence, si peu française, pour la raison et pour l’esprit dans l’exposition des sujets, est une des causes les plus certaines de notre décadence actuelle. Nos peintres