Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne veut plus même que l’on prononce le nom de l’homme-Dieu ; à Voltaire, qui s’est permis un jour cette licence poétique, il la reproche comme une capucinade : « On peut parler de fables, mais seulement comme de fables. « Il raille les prophéties d’Ésaï, de Daniel, et « de tous ces vieux juifs dont les rêves ont fait tant de bruit dans le monde. » Il va dans ses injustices jusqu’à prétendre que l’établissement du christianisme a été une cause de barbarie, comme l’invasion des Goths. Sur toute foi, tout culte, tout clergé, il lève la main pour prononcer une malédiction solennelle : « Que nos descendans ignorent à jamais les puériles sottises de la foi, du culte et des cérémonies des prêtres et des religieuses. »

C’est presque déjà le cri : « Écrasons l’infâme ! » Et l’on se demande si ce jeune prince, qui méconnaît à ce point la légitimité du sentiment religieux et sa force, sur laquelle repose la puissance des églises, ne se prépare pas des périls. Mais ce jeune homme n’est jamais emporté au fond, alors même qu’il semble l’être. Sous le feu de ces polémiques de sa jeunesse, comme sous le feu de nos batteries devant Philipsbourg, il est calme, et sa main tranquille tient la bride de sa monture : il ne s’emballera pas contre l’infâme. De la dignité du sentiment religieux, il n’acquerra jamais le sens ; il ne reconnaîtra jamais à la religion d’autre raison d’être que la superstition des foulés et la supercherie des prêtres, mais, de la puissance des églises, il a une idée juste et très précise. L’histoire lui enseigne qu’il ne faut pas « se mêler de la foi des peuples, » et que des princes se sont mal trouvés d’avoir favorisé une secte aux dépens d’une autre, et que des querelles de partis, qui n’eussent été que de passagères étincelles, sont devenues, parce que des rois les ont fomentées, des embrasemens. L’histoire lui montre encore « que les peuples tolèrent d’un front tondu ce qu’ils ne souffriraient pas d’un front couronné de lauriers, » que personne, lorsque vient à souffler l’esprit de fanatisme, ne demeure neutre, et qu’enfin « la fidélité du vulgaire ne tient pas contre les forces de la religion. » La sévère opinion qu’il a de l’humanité lui fait croire qu’elle ne se corrigera jamais de cette erreur. Le vœu qu’il exprimait tout à l’heure, il sait que l’avenir ne l’accomplira point. Ses descendans ne pourront pas se passer des puériles sottises de la foi, car ils seront, eux aussi, des hommes infirmes et « idiots. » Conclusion : « La religion est une ancienne machine qui ne s’usera jamais. » Le sage aura donc soin de ne pas mettre les doigts dans cet engrenage.

Ici s’annonce une des originalités du règne futur et une rareté dans l’histoire. Roi sans être chrétien, libre penseur, mais qui ne persécutera point, Frédéric se ménage une liberté d’agir qu’aucun