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neige qui tombent mêlés de grêle : alors deviennent plus profondes les blessures de son cœur. » — Il y a des descriptions de l’aurore en traits nouveaux et inattendus : — « L’hôte s’endormit jusqu’à ce que le corbeau noir annonçât d’un cœur joyeux le temps où se lève le soleil, gaîté du ciel, où les voleurs disparaissent. » — Certes, jamais les terrasses de Rome, ni les péristyles d’Athènes, ni les balcons de Vérone n’ont vu se lever, au cri des corbeaux « joyeux, » d’aurores pareilles.

Tous ces poèmes ou ces récits sont nouveaux, touchans, grandioses, mais monotones. Les mêmes notes, peu nombreuses, sont incessamment répétées. Les Angles, les Saxons et les autres conquérans venus de Germanie sont demeurés littérairement intacts au milieu des populations vaincues[1] ; aucune fusion ne s’est faite, aucun progrès ne se manifeste. Leur littérature est comme immobile ; nombre de leurs poèmes sont très difficiles à dater et sont différemment rapportés, selon l’impression des critiques à n’importe lequel des six siècles de domination anglo-saxonne. Il manque à cette littérature une greffe ; le fruit revient le même chaque année, sauvage, parfois chétif.

Même situation au point de vue politique. Les Germains restent ou peu s’en faut à l’état de tribus ; le hameau est pour eux la patrie ; ils ne savent pas s’unir contre l’étranger. Vers la fin du VIIIe siècle paraît un nouvel ennemi, un ennemi de même race, l’envahisseur Scandinave. C’est de nouveau la tempête, de nouveau le déluge ; les torrens humains se précipitent, et, à chaque printemps, s’étendent plus loin et détruisent davantage. En vain, les rois anglo-saxons, et, en France, les successeurs de Charlemagne achètent périodiquement leur départ, ce qui était suivre vis-à-vis des barbares la tactique des Romains de la décadence. Les hordes du Nord reviennent de plus en plus nombreuses, attirées par les rançons mêmes. Ces hommes que les chroniques d’Angleterre et de France appellent indistinctement « Danois » ou « Normands » réapparaissent chaque année, puis, à l’exemple des Germains du Ve siècle, s’épargnent la fatigue de voyages inutiles et restent à proximité du butin. Ils s’établissent sur les côtes d’abord, puis dans l’intérieur. On les trouve à demeure en France vers le milieu du IXe siècle ; en Angleterre, ils passent l’hiver dans l’île de Thanet pour la première fois en 851 et dès lors ne quittent plus le pays. Les petits royaumes anglo-saxons, incapables de s’unir en une résistance commune, sont pour eux une proie facile, ils y circulent à l’aise, pillant Londres et les autres villes. Ils renouvellent leurs ravages

  1. Ils reçurent toutefois, après la conversion, une culture latine, mais qui pénétra peu profondément sans transformer la littérature et le génie national.