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Constance Chlore se fixa dans la même ville et y mourut, et le prince qui devait consacrer le changement de religion des Romains, Constantin le Grand, y fut proclamé empereur. La future Angleterre, la Bretagne celtique, était devenue romaine, chrétienne, s’adonnait à l’agriculture et parlait latin.

Mais l’heure d’une transformation était proche, et déjà paraissait un ennemi que ni la muraille d’Hadrien, ni les remparts d’Antonin ne pourraient arrêter : car il ne devait pas descendre des montagnes d’Ecosse, mais bien, comme il disait dans ses chansons de guerre, « prendre le chemin des baleines. » Une nouvelle race d’hommes se présentait sur les rivages de l’île. Après avoir raconté les campagnes de son beau-père Agricola, dont la flotte avait fait le tour de la Grande-Bretagne et touché aux Orcades, Tacite avait porté son attention sur la Germanie barbare et mystérieuse. Il l’avait décrite à ses compatriotes ; il en avait énuméré les principaux peuples et, parmi beaucoup d’autres, il en avait signalé un qui s’appelait « Angli. » Il le nomme et n’ajoute rien, ne se doutant guère du rôle que ce peuple devait jouer dans l’histoire. Or le premier acte qui allait le rendre fameux devait être précisément de renverser l’ordre politique et de balayer la civilisation que les conquêtes d’Agricola avaient établis chez les Bretons.


II

« Sans compter les périls d’une mer orageuse et inconnue, qui voudrait quitter l’Asie, l’Afrique ou l’Italie pour le pays affreux des Germains, leur ciel âpre, leur sol enfin, dont la culture et l’aspect attristent les regards, — à moins que ce ne soit la patrie ? » Telle est l’image que Tacite trace de la Germanie, et, de ce qu’elle est si triste et néanmoins habitée, il conclut qu’elle a dû toujours l’être par les mêmes peuples : qui donc y serait venu exprès, de son plein gré ? Mais pour les habitans, ce pays de nuages et de marais est la patrie : ils l’aiment et ils y demeurent.

Le livre du grand historien montre combien l’impénétrable Germanie était mal connue des Romains. Toutes sortes de légendes couraient sur cette terre sauvage, que l’on croyait terminée au nord-est par une mer dormante, « la ceinture et la borne du monde, » endroit où l’on est si près du lieu où Phébus se lève, « qu’on entend le bruit qu’il fait en sortant de l’onde et qu’on aperçoit la forme de ses chevaux. » C’est là une croyance populaire, ajoute Tacite : « La vérité est que la nature finit en ces lieux. »

Dans ce pays mystérieux, entre ces forêts qui les abritaient des Romains et la mer grise lavant au loin les rivages plats, s’étaient