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d’atteindre, en le frappant, la république. Voter avec des monarchistes serait passer à l’ennemi. Le jour où ces monarchistes feraient leur paix avec la république et rechercheraient parmi ses loyaux partisans les champions de l’ordre, les conservateurs républicains n’auraient plus ni raison ni envie de ménager le parti qui gouverne contre eux. Et il est superflu de discuter sur l’étendue de la perte qu’il subirait alors ; car il n’est plus besoin, contre lui, de grandes victoires. Cette politique, enfin tentée, n’eût-elle déplacé que 500,000 voix, c’était assez pour donner aux idées conservatrices la victoire en 1835. N’en eût-elle déplacé que 300,000, c’était assez pour donner aux idées conservatrices la victoire en 1889. Et quel calomniateur de son pays osera prétendre que sur les 6,500,000 Français qui refusent leurs suffrages aux monarchistes, il ne s’en trouve pas 300,000 pour souhaiter une autre république ? La majorité en faveur d’une politique conservatrice n’est donc pas à conquérir : elle existe. Le parti opposé ne règne pas plus par la volonté nationale que par la grâce de Dieu, il règne par la volonté des monarchistes. En 1889, dès 1885, il n’a tenu qu’à eux de mettre le pouvoir aux mains d’hommes sages. Les élections prochaines leur apporteront les mêmes devoirs et un succès plus facile encore.

Durant les dernières années, l’obstacle à l’accord entre les conservateurs monarchistes et les conservateurs républicains était moins la divergence des doctrines que l’amertume des souvenirs. Des hommes séparés par un long et violent conflit n’avaient appris ni à se connaître, ni à se lier : les intelligences aspiraient en vain à la paix, les blessures des ambitions et de l’amour-propre saignaient encore, les mains qui auraient voulu se serrer étaient à vif, et la chair se révoltait contre la douleur du devoir. Or, aux élections prochaines, cette génération de combattans aura cessé d’être maîtresse de la politique. En 1893, la majorité des Français sera formée d’hommes nés à l’intelligence après l’ère des luttes : beaucoup, au 24 mai et au 16 mai, n’avaient d’opinion que sur le lait de leur nourrice. Pour tous, ce passé n’est pas la vie, mais l’histoire. Mêlés dans l’éducation commune des écoles et de l’armée, ces nouveaux-venus ont appris non à se suspecter et à se haïr, mais à se comprendre et à s’estimer. Les plus républicains savent la république assez solide pour se montrer équitables, hospitaliers envers les monarchistes, et les plus royalistes sentent protester en eux, contre l’immobilité des respects stériles, la chaleur du sang, l’ambition, la vie. Avant d’être de leur parti, ils sont de leur âge. Cet âge connaît la générosité et la confiance, mères des pacifications.

Et en même temps que les hommes se rapprochent, les