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l’histoire est finie. Ce qu’il apportait de légitime et de durable est passé dans les lois et dans les mœurs ; les vérités dont il avait la prescience, tombées dans le domaine public, n’ont plus besoin de son aide pour vivre. Il ne reste de lui que la partie mortelle ; ses vices, ses fautes font alors leur œuvre, et s’il lui manque le don de comprendre ou la volonté de servir d’autres intérêts devenus à leur tour les plus nécessaires, ce pouvoir que nul effort n’avait ébranlé tombe de lui-même.

La mission du parti qui occupe encore le pouvoir était de fonder la république. A une heure où nul autre régime n’était possible, ce parti s’est trouvé le seul qui la voulût établir. Peu importait dès lors s’il mêlait à cette intelligence de l’inévitable, des violences, des haines que la France avait toujours condamnées : l’essentiel n’était pas que la république fût parfaite, mais fût. Tant qu’elle s’est trouvée en péril, nul vice ne pouvait devenir un danger pour lui, et pourvu qu’il la défendît, on lui pardonnait tout le reste. La république fondée, la tâche historique du parti était accomplie. Quand il s’est agi de gouverner, les mêmes hommes qui avaient eu l’intuition du régime nécessaire à la France n’ont pas donné à la France les biens indispensables à toute société.

Le plus nécessaire est la paix. Au lieu d’elle, le parti qui règne a apporté à la société française deux guerres. Elles sont la fin certaine de l’entreprise qu’il prétend poursuivre contre la misère et la superstition. Déclarer intolérable le sort des prolétaires sans savoir comment le rendre meilleur, et, en excitant les appétits sans les satisfaire, rendre plus malheureux ceux qu’il faudrait soulager ; montrer le budget de l’État, sans le livrer encore, comme la réserve où les victimes de l’organisation sociale reprendront un jour leur part ; en attendant, nourrir de flatteries l’ouvrier, comme s’il ne pouvait avoir tort, offrir à ses idées les plus fausses des encouragemens, à ses pires violences des amnisties, et, dans un pays où la liberté d’association est toujours à venir, fournir aux moins laborieux de ceux qu’on nomme les travailleurs tous les moyens de former un État dans l’État, contre l’État, c’est recruter, caresser et exaspérer tout ensemble l’armée de la guerre sociale. Traiter les catholiques en ennemis publics, tourner contre l’Église les lois mêmes qui avaient été faites pour sa protection, descendre la pente des injustices avec la vitesse accélérée de la haine, c’est marcher droit à la guerre religieuse. Et ces deux guerres s’aggravent l’une par l’autre. Car où les lois humaines laissent sans remède l’inégalité des conditions, affaiblir la loi divine qui enseigne aux uns la justice et aux autres la patience, c’est précipiter la haine sans pitié du pauvre sur la fortune sans pitié du riche.