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troupes organisées qui tiennent campagne, sous le drapeau républicain, contre les forces opportunistes et radicales. Dans le parlement il faut un regard attentif pour reconnaître, cachés au milieu de leurs anciens adversaires, d’anciens défenseurs de la politique modérée. Le souvenir de ce passé est l’embarras de leur condition présente, et leur continuel souci est de faire oublier ce courage devenu leur remords. Se distinguer des révolutionnaires sans se séparer d’eux suffit à l’ambition des plus hardis. Qu’une affaire ne soit pas d’importance, ils osent soulever d’une voix ferme des chicanes de détail, ils aiment à engager contre la démagogie ces duels au premier sang où s’échangent plus de poignées de main que de coups. Mais s’il se produit un choc redoutable entre la politique d’ordre et de désordre, ils se taisent ; si le parti avancé, non content de leur obéissance, exige leur complicité, ils la donnent. Quand surtout éclatent les deux plus grands dangers du régime, l’adulation pour la populace et la haine des croyances, ils flattent et menacent à l’unisson, et toutes les fois qu’il faut choisir entre le Christ et Barrabas, c’est pour Barrabas qu’ils demandent la liberté. Ainsi l’unité des républicains est plus absolue à mesure que les idées deviennent plus violentes, et le terme de modéré ne semble plus que le vocable d’un ridicule disparu.

Il ne faudrait pourtant pas conclure, de ce que tous les républicains supportent la politique révolutionnaire, qu’ils l’aiment tous, ni, de ce qu’ils la servent, que tous en aient le profit. Dans toute la France les vertus, les croyances, la vie d’un grand nombre, désavouent les idées, les passions pour lesquelles ils votent. Parmi les hommes publics beaucoup n’estiment ni leurs œuvres, ni leurs chefs, et à les entendre, entre gens sûrs, on constate que l’ancienne sagesse n’est pas morte. La nouveauté est qu’au lieu de faire de leurs convictions des programmes ils en font des confidences, et c’est merveille qu’on puisse agir si mal en pensant si bien.

Pourquoi cette contradiction ? Parce que depuis vingt ans la querelle de la république et de la monarchie domine tout et fausse tout.

Du jour où elle a commencé, les conservateurs républicains sont devenus les adversaires d’hommes avec qui ils étaient d’accord sur toutes choses, sauf une, et les alliés d’hommes avec qui, une chose exceptée, ils n’avaient rien de commun. Ils ont été réduits à sacrifier toutes leurs idées au succès d’une seule, à repousser leur propre programme parce qu’il était présenté par des monarchistes, à mettre en échec les doctrines conservatrices par leurs voix conservatrices. Quand ils ont tenté de défendre ces mêmes doctrines dans le camp républicain, ils n’étaient qu’une fraction des