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d’assemblées, la force est la parole, et ils ont des orateurs du premier mérite. Or d’ordinaire ils se taisent ; quand par exception, ils parlent, c’est en hommes de droite ; jamais ils n’ont ajouté aux paroles que tout conservateur aurait pu dire semblables, un mot pour se distinguer des monarchistes et des neutres ; toute tribune en France est encore vierge de leur programme. Le parti n’a d’existence que dans les couloirs, ne parle qu’à l’oreille, et ne glisse son loyalisme que dans les notes anonymes de quelques journaux. Entre la droite et la gauche, il semble, comme entre Mathurine et Jacqueline don Juan, promettre à chacune le mariage, et se moquer de toutes deux.

Certes, cet honnête homme de parti ne songe à tromper personne. Il sait qu’avec la droite l’union est stérile, et, pour les enfans qu’il veut avoir, compte épouser la république. Mais son cœur reste à celle qu’il abandonne, sa raison seule vient à celle qu’il choisit. De là la tendresse d’adieux qui ne finissent pas, et la froideur des engagemens nouveaux. On se pare de tout ce qu’on garde de commun avec l’une, on craint de faire trop d’honneur à l’autre, de s’encanailler par l’alliance. C’est assez de lui donner sa main, l’on ne veut pas épouser la famille, et l’on attend pour célébrer le mariage la permission de la chère délaissée. Cette conduite n’a de la duplicité que l’apparence. Mais tout cela est subtil, quintessencié, inintelligible pour la masse des spectateurs, voué à l’insuccès. Des dégoûtés ne sont pas faits pour entraîner, des immobiles ne sont pas faits pour retenir, des silencieux pour convaincre, et surtout l’on est mauvais apôtre des idées dont on semble rougir. Ils attendent que la masse des conservateurs soit prête : c’est attendre d’être poussés à l’action par de plus inertes encore. Les hésitations des constitutionnels perpétuent celles de la droite libérale, et l’immobilité de l’avant-garde fait marquer le pas à toute l’armée. Surtout, le parti reste toujours à former dans la France. La subite et attentive sympathie de l’opinion à la première annonce d’une politique nouvelle prouve que cette politique aura des soldats quand elle aura des chefs. Mais si les soldats voient les chefs désignés se dérober sans cesse, l’ardeur s’éteindra dans le scepticisme. Les constitutionnels ne sont pas encore une force, ils ont été une espérance, et l’espérance qui tarde trop à se réaliser change de nom. Qu’ils prennent garde de devenir une déception. Le peuple ne pardonne pas à ceux dont il a vainement attendu, et c’est pour des hommes publics la responsabilité la plus redoutable, de n’avoir conçu une idée juste et féconde que pour la tuer.

Veulent-ils la faire vivre, qu’ils vivent eux-mêmes. Leur but est