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aux uns ou aux autres le pouvoir, n’interrompt pas leur interminable procès. Le gouvernement n’est donc que le vainqueur d’un jour, mis au faîte par l’effort d’un parti, contraint de plaire à ce parti pour durer, et pour lui plaire d’employer la puissance publique au service des doctrines, des passions, des haines chères à ce parti. D’où il suit qu’il n’est pas le représentant de la nation entière, et surtout qu’il ne se sent pas charge de satisfaire les partis vaincus par lui.

Que sont les monarchistes ? Les condamnés du suffrage universel. Qu’est le gouvernement ? Leur ennemi heureux. En attendant de lui justice, ils poussaient à l’extrême à la fois l’impuissance et l’ambition : l’impuissance, puisque pour obtenir le bien le plus nécessaire ils ne comptaient pas sur leurs propres efforts, mais sur la condescendance d’un maître ; l’ambition, puisqu’ils demandaient à ce maître de les traiter non selon sa volonté, mais selon la leur, par suite d’agir comme s’il était le vaincu et eux les vainqueurs. Et en même temps ils se livraient à sa merci, car ils le laissaient libre de choisir, par la hâte ou la lenteur apportée à la pacification religieuse, l’heure où ils entreraient dans la république ; libre d’empêcher, en se refusant à tout accord, que cette heure sonnât jamais. Une toile paix enfin assurait-elle l’avenir ? Obtenue d’un ministère ou d’un parlement, elle était fragile comme ces pouvoirs passagers, menacée à toute crise de cabinet ou d’élections. Qu’elle vînt à se rompre, les royalistes seraient-ils demeurés fidèles à la république ? Ils auraient échangé contre un bien précaire un engagement irrévocable, marché de dupes. Auraient-ils cessé d’être républicains ? Leur opinion dépendait donc à jamais d’autrui, et il appartenait au gouvernement non-seulement de les faire entrer dans la république, mais de les en faire sortir à son gré.

Si cette politique n’assurait pas aux royalistes de véritables avantages, quels avantages offrait-elle aux républicains ? La république n’a pas besoin des conversions monarchistes pour être, et l’hostilité des royalistes est tout gain pour le parti qui règne. Grâce à eux, son unité dure ; d’eux il n’a à subir ni conseils, ni blâme ; contre eux il se sait tout permis ; sous prétexte qu’il ne leur doit pas de comptes, il n’en rend à personne, et cumule l’arbitraire avec la popularité. En vain les royalistes, en acceptant son hégémonie, semblaient lui préparer un pouvoir plus complet encore, fort non-seulement de leur impuissance, mais de leur fidélité. Ce sont là lions de sujets à prince, des citoyens ne peuvent entrer en sujets dans la république. L’ouvrir aux monarchistes, c’était leur reconnaître un droit d’avis, de direction sur les affaires et les hommes, échanger les commodes allures d’indépendance contre