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parti vainqueur et l’habileté de ses chefs, ne se croyant pas de force à lui tenir tête, elles ont songé à terminer d’un coup toutes les luttes, à accepter non-seulement la république, mais les hommes qui la gouvernent. L’espérance leur est venue qu’en ne disputant pas le pouvoir à ses possesseurs, elles obtiendraient plus vite et plus sûrement la paix. Leur désir a grandi de signer avec le gouvernement un accord où, en échange de leur soumission loyale, elles obtiendraient des garanties. Plus ces royalistes ont cherché lesquelles ils devaient exiger, plus ils ont réduit leurs prétentions pour faciliter le traité, et ils ont fini par se restreindre à une seule : ils se sont déclarés prêts à accepter la république le jour où la république cesserait de combattre le catholicisme. Aussi, ils ont transformé la question monarchique en question religieuse, abandonné la foi morte pour sauver la foi vivante, et atteint le terme où les plus concilians n’ont plus rien à céder. Disposés à capituler sous la seule réserve du respect dû à la conscience, ils auraient trahi cette conscience s’ils s’étaient livrés au gouvernement avant d’avoir obtenu de lui sûreté pour elle. Ils attendaient donc, mais avec confiance, et déjà observant la paix pour l’obtenir. Alors le mot de monarchie a commencé de vieillir dans leur langue, ils ont dépouillé les habitudes d’une opposition, fait le silence sur leurs griefs, sur les fautes du régime, ménagé, soutenu les dépositaires du pouvoir, agi en candidats à l’amitié du gouvernement.

Enfin l’année dernière, quand les canons de Cronstadt eurent salué l’amitié de deux peuples comme s’annoncent les victoires, le patriotisme des conservateurs français comprit mieux encore que la république était la France, et que la France, pour redevenir elle-même, avait besoin de concorde. Le mot avait été prononcé par le chef de l’État au cours de ses voyages présidentiels ; le mot, il est vrai, appartient sous tous les régimes au mobilier de la couronne, mais il parut cette fois si en sa place, qu’on y voulut voir une politique, et les monarchistes répondirent aussitôt à ce qu’ils croyaient des promesses de conciliation par des promesses de fidélité. Des hommes considérables et jusque-là tenus pour adversaires du régime témoignèrent au chef de l’État une déférence toute nouvelle, partout le clergé lui tint un langage où s’affirmait le respect des institutions. Les chambres chômaient alors. Le pays, dont elles ne pouvaient ni diriger, ni fausser l’opinion, accueillit ces présages avec joie, avec confiance : cette politique était si visiblement conforme à ses vœux qu’aussitôt elle devint une puissance, et que les ministres durent compter avec elle. Ceux-ci, tous de nature modérés ou sceptiques, comprenaient quel prestige cette paix intérieure donnerait au gouvernement, mais quel trouble elle