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langue ; » il ne sait pas transformer le style de prose en style poétique selon la recette que Voltaire lui donna un jour : « Je dirai en prose : il y a dans le monde un prince vertueux et qui déteste l’envie et le fanatisme ; et je dirai envers :


O Minerve ! O divine Astrée,
Par vous sa jeunesse inspirée
Suivit les arts et les vertus.
Linois au cœur faux, à l’œil louche
Et le fanatisme farouche
Sous ses pieds tombent abattus…


Mais que Frédéric ait manié maladroitement ces tours-là, nous le lui pardonnons, et même de grand cœur. Malheureusement, il est, par endroits, détestable. Il lui arrive d’écrire avec la préméditation d’avoir de l’esprit à la façon de La Fontaine ou de Voltaire, et alors il manque ses pastiches. Tel conte de lui, comme la Bulle du pape, veut être galant, qui n’est que grossier, et tel autre, comme le Faux pronostic, qui prétend être drôle, est insipide. Ou bien il se propose, comme dans la Réfutation du Prince de Machiavel, d’atteindre à la plus haute éloquence, et il tombe dans le pathos. Mais cela revient à dire que, s’il veut sortir de son naturel et forcer son talent, il se fourvoie. Là, au contraire, où il est lui-même, et où il exprime sincèrement des idées à lui, il a les plus heureuses rencontres. N’est-ce pas une jolie définition de l’âme que celle-ci :


Cet être que j’ignore et qui réside en moi,
Immortel en théologie,
Incertain en philosophie,
Ce fantôme spirituel,
Ce je ne sais quel sens, cet intellectuel…


Et ne voyons-nous pas glisser et s’évanouir dans l’inconnu notre âme incertaine :


Telle qu’une vapeur légère
Son existence passagère
Se perd dans l’ombre du trépas…


Quand il interpelle le malheureux qui ne sait pas remplir par l’étude « le vide de l’âme : »

Étranger à toi-même, au dehors répandu…


ou quand il met dans la faculté de penser la valeur de la vie :


Un siècle entier n’est rien, beaucoup penser c’est vivre…