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leur disgrâce, les dispose toujours à reconnaître la légitimité des faits accomplis et, dès le lendemain de la révolution, les a sollicités en faveur du nouveau régime. Devenus les défenseurs des réformes qu’ils avaient repoussées, ils ne sont plus hostiles qu’aux témérités contraires aux intérêts permanens de la société. Alors, par ce qu’ils acceptent et par ce qu’ils repoussent, ils expriment l’opinion générale, le pouvoir leur revient. Ils en usent pour assurer à l’œuvre commencée contre eux la stabilité, unir les institutions qui méritaient de naître à celles qui doivent survivre, et une révolution n’est définitive que le jour où les conservateurs, l’ayant acceptée, la gouvernent.

L’étrangeté de la situation présente en France est que cette alternance a cessé de régir les mouvemens des partis. Une république s’est fondée où depuis vingt ans les conservateurs ne possèdent ni le gouvernement ni l’influence. Les révolutionnaires, qui l’ont établie, en demeurent les maîtres et travaillent sans obstacle à la pénétrer de leur esprit[1].

Les conservateurs sont demeurés vaincus parce qu’ils se sont divisés. On en a vu, selon l’habitude, accepter le nouveau régime, avec l’espoir d’y restaurer l’ordre ; mais cette fois, ils n’étaient qu’une fraction et la moins nombreuse de leur parti. Le gros a persisté à croire que la première condition de l’ordre était la chute de la république, s’est proposé non de la dominer, mais de la détruire. Pendant vingt années, il a usé ses forces à cette guerre. La rupture du parti conservateur a perpétué deux résultats : la république n’a pas été détruite, parce que dans la France les conservateurs républicains unis aux républicains révolutionnaires formaient la majorité contre les monarchistes ; la république n’a pas été conservatrice, parce que dans le parti républicain les révolutionnaires formaient la majorité contre les conservateurs.

Il semble que cette période soit près de se clore et qu’une autre

  1. Sans doute il s’est trouvé quelques républicains pour combattre cette politique, mais leur courage solitaire, et d’autant plus grand, n’a rien sauvé que leur honneur, et chaque fois qu’ils défendent l’ordre, ils semblent sortir de leur parti. Que dans ce parti, il y ait des conservateurs d’origine et de désirs, soit ; mais les actes seuls donnent un nom aux hommes publics. Où est la victoire obtenue, la lutte tentée depuis quinze ans contre la politique révolutionnaire ? Le dogme étant accepté que les républicains devaient rester unis coûte que coûte, il a suffi aux violons de commander, il ne restait plus aux autres qu’à obéir. Les premiers, mesurant avec un art admirable ce qu’ils pouvaient imposer à la docilité des seconds, ont poussé par un mouvement continu et de plus en plus audacieux leurs hommes au pouvoir, leurs doctrines dans les lois. Et l’histoire ne saurait séparer du parti révolutionnaire ceux qui n’ont jamais su s’en séparer eux-mêmes.