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secondaire ; il a réduit au minimum et soumis à la surveillance ecclésiastique l’instruction primaire ; il a effacé les derniers vestiges des universités locales, encyclopédiques et autonomes, il a mis à leur place des écoles spéciales et professionnelles, il a fait avorter la véritable instruction supérieure, il a étouffé dans la jeunesse la haute curiosité spontanée et désintéressée. — En même temps, remontant à la source du savoir laïque, il s’est rattaché l’Institut ; sur cette créature de l’État, il a pratiqué les amputations nécessaires, il s’est approprié son crédit, il a imposé sa faveur ou sa défaveur aux maîtres de la science et de la littérature ; puis, de la source descendant aux canaux, construisant des barrages, aménageant des conduits, appliquant ses contraintes et ses impulsions, il a soumis la science et la littérature à sa police, à sa censure, à sa direction de la librairie et de l’imprimerie ; il s’est emparé de toutes les publicités, théâtre, journal, livre, chaire et tribune, il les a rassemblées et organisées en une vaste manufacture qu’il surveille et dirige, en une fabrique d’esprit public qui travaille incessamment et sous sa main à la glorification de son système, de son règne et de sa personne. Encore ici, on le retrouve égal et semblable à lui-même, conquérant à outrance et rigoureux exploitant de sa conquête, calculateur aussi minutieux que profond, aussi inventif que conséquent, incomparable pour adapter les moyens au but, sans scrupules dans l’exécution[1], persuadé que, par la pression physique et continue de la peur universelle et surplombante, on vient à bout de toute résistance, soutenant et prolongeant la lutte avec des forces colossales, mais contre une force historique et naturelle, d’espèce supérieure, située au-delà de ses prises, tout à l’heure contre la croyance qui se fonde sur l’instinct religieux et sur la tradition, maintenant contre l’évidence engendrée par la

  1. Faber, ibid., 32 (1807) : « J’ai vu un jour un médecin, honnête homme, dénoncé inopinément pour avoir, dans une société de la ville, émis quelques observations sur le système médical sous le gouvernement existant. Le dénonciateur, employé français, était ami du médecin ; il le dénonça, craignant d’être dénoncé. » — Comte Chaptal, Notes (inédites). — Énumération des diverses polices qui se contrôlent et se complètent mutuellement. « Outre le ministre et le préfet de police, Napoléon avait trois directeurs-généraux de police qui résidaient à Paris et avaient surveillance sur les départemens ; .. de plus, des commissaires-généraux de police dans toutes les grandes villes et des commissaires spéciaux de police dans toutes les autres ; de plus, la gendarmerie, qui transmettait chaque jour à l’inspecteur-général de Paris un bulletin de situation pour toutes les parties de la France ; de plus, les rapports de ses aides-de-camp et des généraux, de sa garde, police supplémentaire, la plus dangereuse de toutes pour les personnes de la cour et les principaux agens de l’administration ; enfin, plusieurs polices spéciales pour lui rendre compte de ce qui se passait parmi les savans, les commerçans, les militaires. Toute cette correspondance lui arrivait à Moscou comme aux Tuileries. »