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elle soit bonne. « Il n’y a pas de travail plus important[1]… Je suis bien loin de compter la dépense pour quelque chose ; il est même dans mon intention que le ministre fasse comprendre qu’il n’est aucun travail qui puisse mériter davantage ma protection. « Avant tout, on devra s’assurer de l’esprit dans lequel écriront les auteurs. « Il faut que ce travail soit confié non-seulement à des auteurs d’un vrai talent, mais encore à des hommes attachés, qui présentent les faits sous leur véritable point de vue et préparent une instruction saine, en conduisant l’histoire jusqu’en l’an VIII. » Mais cette instruction ne sera saine que si, par une série de jugemens préalables et convergens, elle insinue dans les esprits l’approbation finale et l’admiration fondée du régime présent ; il faut donc que l’historien « fasse sentir à chaque ligne » les défauts de l’ancien régime, « l’influence de la cour de Rome, des billets de confession, de la révocation de l’édit de Nantes, du ridicule mariage de Louis XIV avec Mme de Maintenon, etc., le désordre perpétuel des finances, les prétentions du parlement, le manque de règle et de ressort dans l’administration,.. de sorte que l’on respire en arrivant à l’époque où l’on a joui des bienfaits dus à l’unité des lois, d’administration et de territoire. » — « Il faut enfin que la faiblesse constante du gouvernement sous Louis XIV même, sous Louis XV et Louis XVI, inspire le besoin de soutenir l’ouvrage nouvellement accompli et la prépondérance acquise. » Le 18 brumaire, la France est entrée dans le port ; ne parlez de la Révolution que comme d’un orage final, fatal, inévitable[2]. « Lorsque cet ouvrage, bien fait et écrit dans une bonne direction, aura paru, personne n’aura la volonté et la patience d’en faire un autre, surtout lorsque, loin d’être encouragé par la police, on sera découragé par elle. » De cette façon, le gouvernement qui, à l’endroit de la jeunesse, s’est adjugé le monopole de l’enseignement, s’adjuge, à l’endroit des hommes faits, le monopole de l’histoire.


XI

Si Napoléon se précautionne ainsi contre les gens qui pensent, c’est surtout parce que leur pensée, une fois écrite par eux ou par d’autres, arrive au public[3], et que, selon ses maximes, le

  1. Morlet, ibid. (D’après les papiers de M. de Fontanes, II, 258.)
  2. Id., ibid. « Il faut avoir soin d’éviter toute réaction en parlant de la Révolution ; aucun homme ne pouvait s’y opposer. Le blâme n’appartient ni à ceux qui ont péri, ni à ceux qui ont survécu. Il n’était pas de force individuelle capable de changer les élémens et de prévenir les événemens qui naissaient de la nature des choses. »
  3. Villemain, ibid., I, 145. (Paroles de M. de Narbonne au sortir de plusieurs entretiens avec Napoléon en 1812.) « L’Empereur, si puissant, si victorieux, n’est inquiet que d’une chose au monde, les gens qui parlent et, à leur défaut, les gens qui pensent. Et cependant il les aime assez, ou du moins il ne peut s’en passer. »