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n’exercer qu’après avoir obtenu tel grade, voilà ce que l’intérêt social exige et tout ce qu’il peut exiger. — D’après ce principe, l’État institue ses écoles spéciales, et, par le monopole indirect qu’il leur confère, il les peuple d’auditeurs ; ce sont elles qui désormais donneront l’enseignement supérieur à la jeunesse en France[1].

Dès d’abord, en logicien, avec sa lucidité et sa précision ordinaires, Napoléon pose qu’elles seront strictement professionnelles et pratiques. « Faites-moi des régens, » disait-il un jour à propos de l’École normale, et non pas des littérateurs, de beaux esprits ou des chercheurs et inventeurs en quelque ordre de connaissance. — Pareillement, dit-il encore, « je n’approuve pas[2]qu’on ne puisse être reçu bachelier dans la Faculté de médecine sans être bachelier dans celle des sciences ; la médecine n’est point une science exacte et positive, mais seulement une science de conjectures et d’observations. J’aurais plus de confiance dans un médecin qui n’aurait pas étudié les sciences exactes que dans celui qui les posséderait. J’ai préféré M. Corvisart à M. Halle, parce que M. Halle est de l’Institut ; M. Corvisart ne sait pas seulement ce que c’est que deux triangles égaux. On ne doit pas éloigner l’étudiant en médecine de la fréquentation des hôpitaux, de la dissection et des études relatives à son art. » — Même subordination de la science à l’art, même souci de l’application immédiate ou prochaine, même direction utilitaire en vue d’une fonction publique et d’une carrière privée, même resserrement des études à l’École de droit, dans cet ordre de vérités dont un Français, Montesquieu, cinquante ans auparavant, avait le premier saisi l’ensemble, marqué les liaisons et dressé la carte. Il s’agit des lois et de « l’esprit des lois, » écrites ou non écrites, d’après lesquelles vivent ou ont vécu les diverses associations humaines, quelles qu’en soient la forme, l’étendue et l’espèce, État, commune, Église, corporation, école, armée, atelier agricole ou industriel, tribu, famille ; or, vivantes ou fossiles, ce sont là des choses réelles, observables comme les plantes et les animaux ; on peut donc, au même titre que les animaux et les plantes, les observer, les décrire et les comparer, suivre leur histoire depuis leur commencement jusqu’à leur fin, étudier leur structure, les classer par groupes naturels, dégager en chacune d’elles les caractères distinctifs et dominateurs, noter son milieu ambiant, chercher les conditions ou « rapports nécessaires, » internes ou externes, qui déterminent son avortement ou sa floraison. Pour des hommes qui

  1. Louis Liard, Universités et Facultés, p. 1 à 12.
  2. Pelet de la Lozère, 176 (séance du conseil d’État, 21 mai 1806).