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Si Napoléon soumet ainsi ses petites écoles à la surveillance ecclésiastique, ce n'est pas seulement pour se concilier le clergé en lui donnant à conduire la majorité des âmes, toutes les âmes incultes, c'est aussi parce que, dans son propre intérêt, il ne veut pas que le peuple en masse pense par lui-même et raisonne trop. « Les inspecteurs d'académie[1], dit le décret de 1811, veilleront à ce que les maîtres des écoles primaires ne portent point leur enseignement au-delà de la lecture, l'écriture et l'arithmétique. » Au-delà de cette limite, si l'instituteur enseigne à quelques enfans les premiers élémens du latin ou de la géométrie, de la géographie ou de l'histoire, son école devient secondaire, elle est qualifiée de pension, ses élèves sont soumis à la rétribution universitaire, à la discipline militaire, à l'uniforme, à toutes les exigences qu'on a décrites ; bien mieux, elle ne peut subsister, elle est fermée d'office. Lire, écrire et faire les quatre règles, un paysan qui doit rester paysan n'a pas besoin d'en savoir davantage, et il n'a pas besoin d'en savoir tant pour être un bon soldat ; d'ailleurs, cela lui suffit et au-delà pour devenir sous-officier et même officier : témoin ce capitaine Coignet dont nous avons les mémoires, qui, afin d'être nommé sous-lieutenant, dut apprendre à écrire et ne put jamais écrire qu'en grosses lettres à la manière des commençans. — Pour un enseignement si réduit, les meilleurs maîtres seraient les Frères des écoles chrétiennes, et, contre l'avis de ses conseillers. Napoléon les soutient : « Si on les oblige, dit-il[2], à s'interdire par leur vœu toute autre connaissance que la lecture, l'écriture et les élémens du calcul,.. c'est pour les rendre plus propres à leur destination. » « En les comprenant dans l'Université, on les rattachera à l'ordre civil et l'on préviendra le danger de leur indépendance. » Désormais « ils n'ont plus pour chef un étranger ou un inconnu. » « Le supérieur général de Rome a renoncé à toute inspection sur eux ; il est convenu qu'ils auront en France un supérieur général qui résidera à Lyon[3]. » Celui-ci, avec tous ses religieux, tombe sous la main du gouvernement et sous l'autorité du Grand-Maître. Une telle corporation, quand on en tient la tête, est un parfait instrument, le plus sûr, le plus exact, sur lequel on peut toujours

  1. Décret du 15 novembre 1811, article 192. — Cf. le décret du 17 mars 1808, article 6. « Les petites écoles primaires sont celles où l'on apprend à lire, écrire et les premières notions du calcul. » — Ibid. § 3, article 5, définition des pensions et des écoles secondaires communales. Cette définition est encore précisée par le décret du 15 novembre 1811, article 16.
  2. Pelet de la Lozère, ibid., 175. (Paroles de Napoléon au conseil d'État, 21 mai 1806.)
  3. Alexis Chevalier, les Frères des écoles chrétiennes pendant la Révolution, 93. (Rapport de Portails approuvé par le premier consul, 10 frimaire an XII.)