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Ce n’est pas dans une crise constitutionnelle, c’est dans des crises ministérielles que l’Italie, pour sa part, se débat aujourd’hui, et ces crises successives elles-mêmes sont évidemment le signe d’une situation politique assez sérieuse, assez troublée. On croyait, il est vrai, s’être tiré d’embarras il y a quelques semaines par un remaniement de cabinet. M. di Rudini avait gardé la direction des affaires avec ses principaux collègues : M. Nicotera, M. Luzzatti, le général Pelloux. Le ministre des finances seul, M. Colombo, avait payé les frais de la crise. On croyait pouvoir marcher ainsi, et on parlait déjà à Rome du voyage prochain du roi Humbert et de la reine à Berlin, où l’on se flattait peut-être de trouver, — qui sait ? quelque secret merveilleux pour relever les affaires de l’Italie : mais on avait compté sans le parlement, sans l’éternel et cruel embarras qui renait sans cesse, cet embarras financier qui fait et défait les ministères, qui obsède les Italiens et dont ils ne savent comment se délivrer.

A peine le parlement s’est-il retrouvé à Monte-Citorio, le marquis di Rudini a voulu, comme on dit, en avoir le cœur net et savoir sur quoi il pouvait compter. Il n’a point hésité à aller au-devant des interpellations ; il a bravement fait face au péril, avouant la cause de la crise, — le refus de M. Colombo de recourir à de nouveaux impôts, — exposant à sa manière la situation financière, sans déguiser le déficit, qu’il évalue à 30 millions, — proposant en même temps quelques mesures, de vrais palliatifs, une augmentation des droits de succession, un impôt sur les allumettes, pour atténuer ce déficit croissant et dévorant. Le chef du cabinet a même couronné son discours par la demande d’un blanc-seing pour une série de réformes administratives, inconnues, — et, d’un ton délibéré, il a déclaré à la chambre que, si elle n’acceptait pas son programme, elle aurait au prochain budget un déficit de 60 millions. Malheureusement, propositions et explications n’ont paru ni claires ni suffisantes. M. di Rudini a pu s’apercevoir, par le débat qui s’est engagé aussitôt, que la position n’était plus la même pour lui, que la dernière crise l’avait laissé à demi désarmé et diminué devant des adversaires prompts à profiter de ses faiblesses et de ses embarras. Le dernier coup lui a été porté par un homme qu’il s’était pourtant efforcé récemment de rallier, M. Giolitti, député piémontais, qui a fait le procès en règle de la politique financière du ministère. Le discours de M. Giolitti a trouvé de l’écho, — et au premier vote, le ministère, mis en minorité, n’a plus eu qu’à se retirer, à porter sa démission au roi. C’était inévitable un jour ou l’autre ! M. di Rudini est tombé bravement, victime d’une certaine crânerie peut-être, mais surtout d’une situation fausse où il ne pouvait plus que se débattre sans profit et sans gloire. Arrivé au pouvoir comme successeur de M. Crispi avec l’intention avouée de suivre une autre politique, de