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toutes les hostilités contre le régime. Bref, on ne s’entend plus. La foi unit l’épiscopat, la politique le divise, — et ici survient un incident qui semblerait tout simplifier, qui devient peut-être, au contraire, une complication de plus ; c’est l’intervention du pape lui-même, prenant le rôle de modérateur, de conciliateur dans ce monde troublé.

Plus que tout autre évidemment, avec une clairvoyance supérieure, et on peut le dire aussi, avec un sentiment affectueux pour notre pays, le souverain pontife a entrevu le danger qu’il y avait pour les intérêts religieux de la France dans les solidarités de partis, dans la confusion de la religion et de la politique. Il n’a point hésité à conseiller aux catholiques et à leurs chefs d’en finir avec les oppositions irréconciliables contre un régime établi, de se placer, dans l’intérêt même de la défense de leurs droits et de leurs croyances, sur le « terrain constitutionnel. » C’est l’objet de l’encyclique qu’il a publiée au mois de février. Léon XIII ne s’en est pas tenu là : il vient d’écrire, sous la forme d’une réponse à la déclaration récente des cardinaux français, une lettre nouvelle où il ne craint pas d’accentuer sa pensée. Il presse plus que jamais les catholiques « d’accepter sans arrière-pensée, avec cette loyauté parfaite qui convient au chrétien, le pouvoir civil dans la forme où, de fait, il existe. » Il répète aux catholiques français : « Acceptez la République, c’est-à-dire le pouvoir constitué et existant parmi vous ; respectez-le, soyez-lui soumis, comme représentant le pouvoir venu de Dieu. » Le saint-père va même plus loin, et a quelques mots sévères pour « des hommes qui subordonneraient tout au triomphe préalable de leur parti respectif, fût-ce sous le prétexte qu’il leur paraît le plus apte à la défense religieuse. » On épiloguera tant qu’on voudra, le langage est aussi précis que décisif, et il a d’autant plus de portée qu’il se fait entendre au milieu des excitations de la lutte. Est-ce à dire que ces conseils de paix et de soumission au régime établi impliquent l’oubli des intérêts religieux blessés ou menacés, une sorte de sanction résignée des actes par lesquels s’est signalée depuis dix ans et se signale encore une politique de secte pratiquée au nom de la république ? Le pape, c’est bien clair, n’oublie rien, ne méconnaît rien, ne néglige aucun de ses devoirs auprès des maîtres de la France : il sent seulement que le meilleur moyen de défendre les intérêts religieux n’est pas de compliquer cette défense de compétitions de partis ou de régimes, d’antagonismes irréconciliables.

Voilà le drame noué entre un gouvernement entraîné par des passions de secte dont il n’ose pas secouer le joug, des évêques rejetés par des vexations puériles autant qu’irritantes dans des hostilités dont ils ne mesurent pas toujours les conséquences, et un pape qui intervient en pacificateur, qui a sûrement servi la France, la république elle-même, mais qui peut se lasser de ses efforts inutiles. Quel sera le dénoûment ?