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il s’était laissé surprendre ? Il n’a pas craint d’engager sa responsabilité : c’est bien quelque chose d’avoir réussi par des précautions salutaires à prévenir des conflits, dont on n’est pas toujours maître, quand ils ont éclaté, quand le premier sang a coulé.

Soit donc ! pour une raison ou pour l’autre, la paix a été maintenue à Paris et partout en France. C’est l’honneur du gouvernement d’y avoir contribué par sa vigilante fermeté. M. le président de la république a pu adresser félicitations et complimens à M. le président du conseil, qui s’est hâté de les transmettre à M. le préfet de police, qui à son tour s’est fait un devoir de complimenter son personnel. On s’est réjoui en commun d’en être quitte à si bon compte : rien de mieux ! Il ne faudrait pas cependant s’y méprendre et oublier trop vite ce qu’il y a d’étrange, d’extraordinaire dans une situation où il y a périodiquement des jours de manifestations qui pourraient devenir des jours de révolutions, et où il faut avoir soin de s’entourer d’une armée nombreuse pour se préserver des 1er mai. Pour cette fois encore, on a échappé à l’orage, on a réussi à détourner la crise. Matériellement on a sauvé la journée ; le danger ne subsiste pas moins, et à vrai dire, qu’il se manifeste par les excès anarchistes ou par les programmes socialistes, il est à peu près le même. Au fond, c’est le déchaînement de la force brutale dans nos affaires intérieures ; c’est l’organisation préméditée, calculée, de masses ennemies qui peuvent par tactique ajourner leurs projets, l’assaut définitif, qui ne désavouent ni leurs rêves, ni leur but. On a pu ne pas descendre l’autre jour dans la rue, parce qu’on n’a pas cru l’heure favorable ; on n’a pas caché dans les réunions, dans les discours, à Paris aussi bien qu’à Fourmies, que ce qu’on poursuivait, ce qu’on poursuivrait demain comme hier, c’était la guerre, une guerre implacable à l’ordre social tout entier, aux institutions libérales, à ce qu’on appelle la société patronale et bourgeoise, comme si ceux qui exploitent ces passions n’étaient pas eux-mêmes des bourgeois, comme s’il y avait désormais des classes privilégiées en France. Le dernier mot de ces tristes campagnes est la destruction par la force déguisée sous l’anarchisme comme sous le socialisme révolutionnaire.

C’est le danger intérieur. Il y en a un autre qui n’est pas moins redoutable : c’est que dans cette conspiration avérée, organisée contre la société française, le sens patriotique est aussi complètement absent que le sens moral et libéral. Il y a vingt ans, sous le coup d’effroyables désastres aggravés par la Commune, on avait senti le danger : on avait fait une loi sur l’internationale. On l’a oublié depuis, on a laissé se développer cette affiliation du cosmopolitisme anarchique et socialiste. Aujourd’hui le mal se dévoile tout entier. On fait crier à des malheureux, à des égarés : à bas la patrie ! on met la main des ouvriers