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Prion, radieuse, souveraine ; elle éclaira par degrés la brume chaude de nos nuits d’Asie, flottante au flanc des collines ; ses fuseaux d’argent tombèrent sur le fleuve et sur la mer. Le bruit mourut, comme si notre gaîté s’avouait vaincue par la sérénité des choses, plus puissante que la joie des hommes. Le silence de l’espace était doux, plein de vie : ce silence créateur de la nuit d’été, qui laisse entendre le sourd travail des forces, l’éclosion des germes. De la terre et des eaux marines montait une ardeur d’amour, dans l’air alangui par les senteurs des lauriers-roses du Caystre, des herbes amères de la montagne. Tout reposait, tout semblait arrêté, pâmé dans le bonheur d’être. On aurait cru même le pas du Temps suspendu, si de lents mouvemens dans le grand calme n’eussent rappelé l’impitoyable ; car tout mouvement le mesure et le rappelle. On songeait à lui quand passait le vol d’un oiseau nocturne, ou, sur l’horizon, une voile de pêcheur ; et c’était mieux ainsi : les extases surhumaines nous seraient moins chères si nous ne les sentions pas nous fuir.

Oh ! cette nuit ! La nature a beau être prodigue, elle ne peut en avoir fait beaucoup de pareilles. Vous vous en souvenez, n’est-ce pas : il est impossible que vous l’ayez oubliée ! Vous vous souvenez, quand une étoile monta entre les colonnes du grand temple et brilla tout à coup sur le faîte, comme un flambeau fixé sur l’attique du monument ? Et quand cette barque approcha, les rames levées, d’où ruisselaient des gouttes de lumière ? Et le souffle de vent qui vint du Sud, un seul, une minute, si subit, si surnaturel, que nous frissonnâmes tous à son passage ; et là-bas, au bout de la mer, par-delà les derniers rayons brisés sur les derniers flots, ces éclairs d’orage qui s’allumèrent, et les rêves rapides qui palpitaient avec eux, des rêves qu’on n’a vus que là… Mais que je suis naïf ! Un mot vous fera mieux souvenir, vous, femme : c’était la nuit où vous portiez cette tunique blanche, en tissu de Sérique, sur laquelle vos cheveux blonds pendaient, liés par un seul fil de perles. Vous étiez appuyée au tronc d’un cyprès : l’on eût dit une des statues de la déesse adossées aux piliers du grand Portique. Vous vous plaisiez à rester dans l’ombre du cyprès, devinant qu’alors la clarté nous semblait venir de vous, plus que de la Diane là-haut. Et vous avez souri de contentement, quand un rhéteur de Chersonèse vous compara, dans son langage subtil, au miracle d’un champ de neige où onduleraient des blés d’or.

De jeunes hommes d’Athènes vous disaient des choses éloquentes. Zaleucos, le poète syracusain, vous récitait des vers ; ceux qu’il fit pour vous devant les petites figures de terre cuite qu’on admire chez Cléon :