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juives sur la divinité ; si bien que tel écrit d’un champion du vieux culte laisserait parfois des doutes sur la croyance du rédacteur. M. Boissier nous intéresse, chemin faisant, à ces recherches accessoires ; mais il ne s’écarte guère de son objet principal : l’évolution des lettres sous l’influence de la nouvelle foi. Il ne touche qu’incidemment aux autres effets de la transformation du monde ; en exposant clairement ces effets, il garde une réserve prudente sur les causes. C’est marque de sagesse : les causes de ce changement de ciel sur l’univers, si radical et relativement si rapide, se dérobent aux explications de la science. Pour en deviner quelque chose, il faut recourir aux dépositions intimes comme celles de saint Augustin, dans les Confessions ; et toutes les gloses ne diront jamais plus ni mieux que ce seul vers d’un fou de poète :


Une immense espérance a traversé la terre.


La curiosité d’un esprit raisonnable devrait se contenter des éclaircissemens sur les faits, tels qu’on les trouve chez notre auteur et chez ses devanciers. Mais non ; dès qu’il aborde ce prodige historique, l’esprit est sollicité à l’impossible, il veut scruter l’opération mystérieuse qui a changé les âmes. Qui de nous n’a essayé souvent de se représenter l’illumination d’un de ces fiers Romains, d’un de ces Grecs ingénieux, sacrifiant tout le patrimoine intellectuel et moral des ancêtres, pour aller en chercher un nouveau dans l’assemblée ignominieuse des esclaves ? Quels troubles du cœur et de l’intelligence pouvaient jeter un de ces hommes dans la folie de la croix ? Le phénomène serait d’autant plus attachant qu’on le surprendrait à l’origine, alors qu’il est encore rare : vers la fin du Ier siècle, bien avant l’époque de pleine décomposition où M. Boissier nous transporte. Je me laisse aller à l’imaginer. Mieux qu’une analyse fort inutile, mieux qu’une critique sèche et trop incompétente de ma part, cet essai rendra à notre maître le plus sincère des hommages, en montrant son livre excitateur de pensées, en lui rapportant l’inspiration des songeries nées sur ses pages.

Supposons, — l’hypothèse n’a rien de tout à fait impossible, — qu’un de nos élèves de l’école d’Athènes découvre, en fouillant les tombes d’Asie-Mineure, un parchemin des premiers temps du christianisme : une de ces confessions dont le IVe siècle nous a laissé le plus illustre exemplaire, mais qui furent probablement rédigées plus d’une fois, à des dates antérieures, par des lettrés convertis. Le Journal des savans nous apporte des fragmens de ce