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A peine arrivés au but de sa longue courso :

— Je suis la mère de Neillo, dit-elle en accostant le premier groupe venu, c’est Neillo qui m’a dit de venir ; voulez-vous me mener vers lui ?

L’émotion enrouait sa voix, et ses doigts tordaient les cordons de son tablier, tandis que le vertige gagnait sa tête affolée par le bruit. Elle commençait à croire qu’en effet, jamais elle ne trouverait son fils dans une telle bagarre !

Moquée des uns, renvoyée des autres, se heurtant au pêle-mêle des sacs et des armes renversées à terre, elle aboutit enfin à un régiment d’artillerie, — d’énormes chevaux déharnachés et entravés piétinaient les pâquerettes poudreuses, tandis que les hommes jouaient à se battre et que le tumulte, le bruit, les clameurs et le mouvement achevaient de l’ahurir.

Un soldat, plus compatissant que les autres, lui expliqua où elle se trouvait et qu’elle avait devant elle trois batteries et un régiment de cavalerie. Il termina en lui disant qu’il connaissait son fils de nom et qu’à un mille à l’arrière elle serait sûre de le trouver. Après une grêle de recommandations à la Vierge et de bénédictions pour ses bontés, toute ranimée par l’idée qu’elle était proche de son fils, elle raffermit ses pauvres jambes brisées et se remit en marche, riant au nez de la sentinelle qui la gourmandait sur ses poches trop pleines.

— Ce n’est qu’un pain de gruau et un fromage de chez nous, que j’apporte à mon gars !

Elle était arrivée maintenant chez les lignards qui allaient, venaient, portaient l’eau, le bois, veillaient à la soupe.

Tout d’abord, un groupe d’officiers gravement serrés sous un grand pin fixa son attention. Ils causaient à voix basse d’un ton mystérieux.

Elle avança, son visage était pourpre, les veines de son front semblaient près d’éclater. Plus loin, elle avait avisé de jeunes soldats absorbés à contempler trois camarades couchés sur le dos à l’ombre d’un châtaignier.

Tout à coup, le cœur lui manqua.

— Qu’ont donc ces hommes ? demanda-t-elle, sont-ils malades ?

— Non, femme, ils sont morts… Une étape de trente milles, pensez donc, et par une telle chaleur !

La mère de Neillo se pencha. Elle souleva l’un après l’autre le drap qui les cachait ; c’est ainsi qu’après vingt milles de marche, elle revit son enfant.


OUIDA.