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se détruisent et passent en d’autres états, impropres ceux-là à la vie, états sous lesquels ils sont rejetés pour rentrer dans le monde inorganique, enrichi par eux d’ammoniaque et d’acide carbonique, et d’oxygène.

Ce mouvement, nous n’en connaissons pas la nature, nous savons seulement qu’il existe par la comparaison de l’apport et du rejet et de ceux-ci avec le terme intermédiaire, la substance vivante elle-même. Nous savons qu’il se propage à la fois dans tous les tissus et tous les organes de l’être, offrant dans chacun une modalité spéciale, tout en conservant partout le même caractère fondamental, comme l’onde sonore qui, elle aussi, présente un caractère universel, celui d’être pendulaire, avec des modes infiniment variés d’où dépendent le timbre et toutes les qualités secondaires du son.

Ce mouvement est partout au fond des tissus de l’être vivant, depuis les plus simples, comme la substance de l’os, jusqu’aux plus complexes, comme celle des muscles ou du cerveau. Il est partout dans l’être vivant, que celui-ci s’accroisse, ou fleurisse, ou s’incline vers la mort, ou qu’il soit atteint des divers états passionnels, morbides qui peuvent l’affecter ; il est partout dans l’infinie variété des actes physiologiques dont est faite notre vie et qui tous se ramènent fatalement à une modification moléculaire survenant : la sensation de la rétine ébranlée par un rayon lumineux, aussi bien que la contraction d’un muscle et la pensée même. On a essayé pour cette dernière d’arriver par des voies détournées à découvrir la nature des réactions chimiques qui forcément accompagnent tout travail cérébral. Qu’on y soit ou non parvenu, il est impossible de se représenter la mise en activité des élémens nerveux autrement que comme un phénomène de nutrition, c’est-à-dire une modification se produisant dans le mouvement moléculaire.

Mais nous restons impuissans à pénétrer, à connaître la véritable nature de ce mouvement moléculaire intime qui fait des corps animés un monde à part dans le grand cosmos. Quelle est l’origine et la nature de cette énergie nouvelle communiquée à la matière inerte, lui donnant des propriétés ou plutôt des facultés qu’elle n’avait pas jusque-là et qui viennent s’ajouter à toutes celles dont connaissent le chimiste et le physicien ? Disons encore qu’elles s’y ajoutent sans les contrarier, comme on l’a cru longtemps, quand on supposait une sorte d’antagonisme entre la vie et les forces physico-chimiques. La vie n’est en aucune façon un triomphe sur celles-là, et toujours elles gardent leur prépotence. Si nous voyons certains parasites résister aux liquides corrosifs de l’estomac, ce n’est point que la vie entrave ici une réaction chimique qui se produirait partout ailleurs ; c’est simplement que