Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez l’amibe, un peu plus dense que l’eau, avec laquelle elle ne se mélange pas, substance qui se meut, qui sent, c’est-à-dire qui partage avec nous-mêmes les attributs supérieurs de la vie.


III

La découverte des amibes ne fut guère au début qu’une curiosité, jusqu’au jour où deux naturalistes, Dujardin et Hugo Mohl, presque en même temps, Dujardin toutefois le premier, appelèrent l’attention sur une substance entrant dans la constitution des infusoires et des cellules des plantes, qui avait tous les caractères de la substance des amibes. Dujardin la dénomma sarcode ; Hugo Mohl s’arrêta quelques mois après au nom de protoplasma qui a prévalu. Dujardin est certes un des biologistes dont la France peut s’honorer à plus juste titre, bien qu’il soit demeuré sa vie durant à peu près méconnu, repoussé du cénacle parisien, relégué en province. C’est seulement après sa mort qu’on a rendu quelque justice à ses travaux. Le nom de sarcode introduit par lui dans le langage scientifique n’a pas été adopté, tandis que la dénomination de protoplasma imposée par le savant allemand à une des parties constituantes de la cellule végétale eut cette singulière fortune de devenir presque synonyme de matière vivante ou même ayant vécu. C’est ainsi que certains anatomistes l’emploient pour désigner la substance de la corne ou la masse des cellules superficielles de l’épiderme qui ont accompli le cycle de leur existence et ne sont plus que des cadavres de cellules.

Mais cette substance amorphe, sarcode ou protoplasma, comme on voudra l’appeler, n’est pas moins à nos yeux la base même de l’organisme. Chez les végétaux, c’est elle qui édifie en quelque sorte chaque cellule, comme le ver ou le mollusque produisent la coquille et le tube qui les protègent, comme la chenille s’enveloppe du cocon qu’elle a tiré de ses glandes. De même le protoplasma modèle autour de lui les parois de la cellule où il reste enfermé. Mais il en est toujours la partie vivante par excellence, et quand il disparaît, cette paroi cellulaire n’est plus qu’un corps inerte.

De même, chez les animaux, l’œuf ou tout au moins sa partie essentielle, le vitellus, nous montre dans sa forme sphérique à peu près universelle le protoplasma façonné d’abord par les seules lois des attractions et des résistances communes à toute matière. Mais dès que cet œuf s’anime, les premiers signes qu’il donne de son activité propre sont précisément des mouvemens comparables à ceux de l’amibe. C’est donc sans effort que nous retrouvons autour de nous et de différens côtés la vie affranchie de la forme. Nous comprenons qu’elle n’est pas essentiellement et fatalement