La composition de la population dans les deux colonies explique également la différence entre la politique fiscale adoptée par la Nouvelle-Galles du Sud et celle de Victoria. Tant que les mines d’or continuèrent à donner un emploi rémunératif et constant à la population ouvrière de cette dernière, les articles d’importation ne furent frappés à leur entrée dans la colonie que d’un droit ad valorem très modéré. Mais il arriva un moment où les mines ne suffirent plus à maintenir dans l’abondance la population que la fièvre de l’or avait amenée dans la colonie où elle avait acquis droit de cité. La constitution démocratique et ultra-libérale du pays plaçait en outre le pouvoir politique entre les mains des classes laborieuses, et tout gouvernement soucieux de conserver sa popularité ne pouvait ignorer les besoins de cette classe, la plus nombreuse et la plus utile, et devait nécessairement tout faire pour la retenir dans un pays où tout était à créer. Les colonies voisines faisaient, de leur côté, les plus grands efforts pour attirer chez elles la main-d’œuvre nécessaire à l’expansion de leur colonisation. Les statisticiens avaient calculé qu’à cette époque un émigrant adulte mâle représentait dans les colonies australiennes une valeur annuelle de 6,000 francs ; chaque individu qui quittait le sol victorien pour transporter ses pénates dans une province voisine représentait par conséquent une perte sèche de 6,000 francs par an pour Victoria et un gain équivalent pour sa nouvelle patrie. L’instinct financier seul aurait donc suffi pour faire comprendre au gouvernement de Victoria la nécessité de retenir à tout prix dans le pays la main-d’œuvre que les mines d’or y avaient attirée. Mais il n’y avait aucune industrie locale, et la province, limitée en étendue, n’offrait en outre, en dehors des mines et des pâturages, que fort peu de ressources naturelles. L’agriculture n’existait pour ainsi dire pas, et bien que les colons eussent certainement trouvé dans la culture de la terre un champ très vaste à leur activité, il ne fallait pas s’attendre à ce que les mineurs, pour la plupart nés et élevés dans les grands centres industriels de l’Europe et de l’Amérique, échangeassent leur vie aventureuse pour les occupations constantes, laborieuses et pénibles de l’agriculteur. La majorité d’entre eux était composée d’artisans et non pas de paysans, et, si l’on voulait les garder dans la colonie, il fallait y introduire les industries qu’ils avaient abandonnées dans le vieux monde avec l’espoir de ramasser l’or à pleines pelles dans le nouveau. Sous l’empire de la nécessité du moment, les Victoriens adoptèrent donc une politique fiscale protectionniste, non pas parce que la protection est la meilleure des politiques fiscales, mais parce que dans cette alternative seule ils croyaient trouver le salut et l’avenir. Ce
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