Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cavalièrement traités, subordonnés qu’ils étaient absolument aux intérêts généraux de l’empire. Au premier abord, cette condescendance du gouvernement de la métropole paraît bien extraordinaire, et l’on est tenté de l’attribuer à un sentiment de haute philanthropie ; mais un peu de réflexion amène bien vite à découvrir la raison de cette conduite en apparence si désintéressée. Les Anglais, on le sait, sont avant tout des hommes d’affaires, et ils doivent leur succès en politique générale comme en colonisation à ce que toutes leurs entreprises, quel que soit leur but, sont toujours étudiées d’avance au point de vue du résultat commercial définitif. Le principe qui, chez eux, détermine une entreprise quelconque, même la guerre, surtout la guerre, c’est l’intérêt commercial de la nation : Will it pay ? that is the question ! Le sentiment n’a jamais occupé la moindre place dans la politique de l’Angleterre. L’honneur et la gloire sont de fort belles choses sans doute, mais ce sont des quantités dont la valeur est trop difficile à établir pour que les hommes d’État anglais se laissent entraîner à y sacrifier l’intérêt pratique de leur pays. Et ils ont mille fois raison ; leur empire toujours grandissant, leur influence commerciale universelle, leur prépondérance politique dans le monde extra-européen en sont une preuve manifeste. Dans sa spirituelle et amusante critique des hommes et des choses britanniques, Max O’Rell compare le gouvernement anglais à une grande maison de commerce ayant son siège à Londres et des succursales dans les cinq parties du monde ; c’est la maison John Bull et fils. Cette définition est des plus heureuses, il aurait pu ajouter Universal Dealers, car John Bull vend de tout, achète de tout, trafique de tout et fabrique de tout, même des nations et des couronnes. Sa politique est une gigantesque opération commerciale dans laquelle toutes les combinaisons sont étudiées avec une précision mathématique.

Il lui est sans doute arrivé de se tromper plus d’une fois dans ses calculs ; de fait, l’établissement pénitentiaire de Botany-Bay fut loin d’être un brillant succès commercial à l’origine. Les administrateurs s’aperçurent bien vite de l’impraticabilité de continuer à en faire une œuvre philanthropique pure et simple pour le bénéfice des convicts : cette expérience leur coûtait trop cher. L’introduction de colons libres pour travailler la terre et pourvoir ainsi à la nourriture du forçat incapable de produire lui-même de quoi suffire à ses propres besoins ne fit qu’augmenter les charges que le budget de la transportation avait à supporter. C’est alors que l’on imagina le système des concessions territoriales dont l’étendue dépendait du montant du capital introduit dans la colonie par le concessionnaire. Autant de livres sterling, autant d’arpens