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de leur fortune et de leur influence prépondérante au conseil législatif. A l’origine, le conseil législatif devait être composé de membres nommés par le gouverneur, plus tard ils furent en partie élus d’après un système de suffrage qui limitait le vote à un certain nombre d’électeurs possédant une valeur appréciable d’intérêts dans la colonie. Du côté opposé, la classe ouvrière, les émancipés et la jeunesse laborieuse d’origine australienne faisaient cause commune et demandaient une constitution dont la base fût essentiellement démocratique, et le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ; cette classe avait pour elle le nombre, mais un nombre jusque-là dépourvu de droit de représentation. Enfin un troisième parti, intermédiaire, dirigé par les hommes les plus remarquables et les plus éclairés parmi les membres des professions libérales et du clergé, tenait la balance entre les deux extrêmes. Ces derniers, tout en proclamant leurs sympathies pour la cause du peuple, cherchaient cependant à conserver l’équilibre entre les masses et les classes privilégiées ; ils voulaient bien donner la franchise à la démocratie, mais à la condition que la démocratie votât pour eux et consentît à permettre que l’influence qu’elle devait posséder de par la constitution nouvelle fût contrebalancée par la pluralité des votes en faveur de la classe qui était représentée, non pas par la proportion du nombre, mais par celle, autrement considérable à ses yeux, de la somme de ses intérêts industriels et commerciaux. Ce parti avait pour chef un jeune avocat, né dans le pays, William Charles Wentworth, orateur passionné, poète à ses heures, qui voyait déjà dans cette poignée de colons libres établis autour d’une prison, l’embryon d’une nation destinée un jour à dominer toute cette partie du monde austral. Wentworth, né dans la colonie, était allé compléter en Angleterre les études nécessaires pour son admission au barreau. Il revenait à vingt-trois ans, plein d’enthousiasme et animé des sentimens du plus pur patriotisme. Gréer dans sa jeune patrie une situation politique idéale d’après les principes du gouvernement populaire lui paraissait une tâche tracée tout spécialement pour lui. Aussi dans les premières années de l’agitation constitutionnelle en faveur d’une réforme politique dont il fut l’âme, de 1825 à 1840, se fit-il l’avocat du peuple, demandant la création d’une assemblée législative qui gouvernerait en son nom. Ses efforts ne furent pas couronnés de tout le succès qu’il en espérait. L’ignorance de la grande majorité des membres des classes qu’il cherchait à élever en leur offrant dans le gouvernement du pays une part proportionnelle à leurs intérêts, et l’exagération de leurs ambitions, détruisirent les espérances qu’il avait fondées sur elles. Il abandonna son idéal, convaincu par la