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formation offrait un champ plus libre à leurs aspirations. L’Australie, tout récemment sortie de la période aiguë d’expérimentation philanthropique, venait d’entrer dans une période d’activité pastorale, et l’exploitation de ses produits naturels variés, dont on commençait à parler sur les marchés du royaume-uni, offrait un nouveau débouché à l’émigration des masses auxquelles la fortune refusait en Angleterre le plus faible sourire. Un fort courant d’émigration se dirigea donc vers ces nouvelles possessions de l’empire britannique, et Sydney, alors la seule grande ville de l’Australie, vit débarquer sur ses quais un certain nombre de ces jeunes exilés volontaires, venus pour chercher aux antipodes la liberté qu’une société figée depuis des siècles dans sa forme aristocratique et ploutocratique refusait à leur classe dans son propre pays. Parmi ces derniers se trouvait un jeune ouvrier tourneur, grand, vigoureux, aux traits remarquablement accentués et énergiques.

Doué d’une grande éloquence naturelle, et se sentant surtout plein de confiance dans l’avenir qui lui était réservé sur cette terre nouvelle où il venait de débarquer sans amis, sans argent, et sans autre capital qu’une rare intelligence et une énergie à toute épreuve, il prit part dès son arrivée au mouvement politique qui agitait alors les colons. Son éducation avait été négligée dans son enfance, mais il avait acquis plus tard une certaine instruction par son application personnelle, et sans autre guide dans le choix de ses livres qu’un instinct naturel qui l’entraînait vers les études politiques et même la poésie. Henry Parkes, tel était son nom, arrivait à Sydney à une époque où l’air était rempli de politique ; il retrouvait en Australie des conditions analogues à celles qu’il avait laissées en Angleterre, on ne parlait que de réformes, constitution et liberté ; mais dans ce nouveau jeu politique, les atouts étaient en d’autres mains. Parkes comprit en un clin d’œil la situation locale, l’avenir lui apparut plein d’espérances ; c’était sa classe qui tenait les cartes, elle n’avait besoin que d’un joueur à la fois intelligent et prudent pour la guider, et la partie était gagnée en Australie pour la démocratie. Il serait ce joueur et ce guide. Avant de prendre part au conflit qui se préparait, il prit son temps pour étudier la composition des différens partis politiques qui cherchaient à accaparer la plus grande partie du pouvoir dans la constitution que l’on était en train de formuler, et pour se rendre compte des forces relatives et des ressources matérielles et morales dont chacun d’eux disposait. D’un côté se trouvaient les grands propriétaires de terrains concédés sous les régimes précédens, et les squatters, locataires d’immenses domaines pastoraux qui formaient l’aristocratie coloniale, possédant alors le pouvoir en raison