Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décade, lorsque le capitaine Phillip débarqua à la Nouvelle-Hollande avec la première flotte de prisonniers que les philanthropes du royaume-uni prétendaient régénérer en les transportant aux antipodes. On peut donc dire que l’Australie moderne est uniquement un produit du XIXe siècle, on peut même ajouter que son état politique et social actuel est l’œuvre des dernières quarante années.

« Heureux les pays qui n’ont pas d’histoire, » a dit quelque part un homme d’Etat célèbre. L’Australie n’a pas d’histoire, si par ce terme, l’on comprend une succession d’événemens plus ou moins glorieux dont les guerres de races, de religion et de dynasties font à peu près tous les frais. Isolée aux antipodes, placée à l’abri des convoitises européennes par sa position naturelle et par sa situation politique sous l’égide protectrice d’une puissance à laquelle appartient depuis longtemps la souveraineté des mers, l’Australie est en effet un heureux pays. Les élémens qui constituent sa population proviennent en grande majorité de l’émigration de races, sinon d’origine commune, liées du moins entre elles depuis des siècles par une communauté de langage, de traditions glorieuses et d’aspirations politiques identiques, et les pages de son histoire intime ne sont ensanglantées par aucun de ces bouleversemens soudains, si communs dans les pays de l’Amérique du Sud colonisés par la race latine. Au point de vue commercial, politique et religieux, le développement de l’Australie n’a pas même d’analogie avec celui des États-Unis où l’émigration de grandes masses appartenant à des nationalités et à des types variés a créé un état social qui n’existe nulle part ailleurs. Il ne peut être non plus comparé à celui du Canada, où deux races et deux religions sont en présence, travaillant ensemble à la consommation de l’œuvre de sa colonisation, sans cependant abandonner ni leur langage, ni leurs mœurs respectives, et chérissant toujours des traditions de luttes passées non moins glorieuses que l’émulation paisible d’aujourd’hui.

La colonisation de l’Australasie est une œuvre essentiellement et purement britannique ; elle est le fruit des efforts d’une démocratie intelligente et laborieuse, démocratie dont jusqu’ici les tendances ont été plutôt conservatrices que révolutionnaires, guidée qu’elle est par des hommes plus remarquables par leur bon sens et le calme de leur jugement que par des qualités plus brillantes, mais aussi plus superficielles. On serait tenté de croire que les arènes politiques australiennes offrent une carrière bien limitée à l’exercice des facultés que la science parlementaire moderne demande à ses adeptes, car dans ces petites assemblées les