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Prenez maintenant la description : tous les traits sont précis, toutes les images successivement évoquées sont distinctes, empruntées à des phénomènes réels ; l’effet de terreur est obtenu par leur combinaison et leur grossissement. Sur ce fond, fait de toutes les horreurs de l’orage, de la tempête et de l’inondation, se détachent les épisodes de la détresse humaine. C’est la même lucidité d’intuition, la même accumulation de détails précis : « Vous auriez pu voir quelques troupes d’hommes défendant, à main armée les petits asiles qui leur restaient contre les lions, les loups et autres fauves qui y cherchaient leur salut. Que vous en auriez vu de leurs propres mains se boucher les oreilles pour étouffer les immenses rumeurs faites à travers l’air ténébreux par la fureur des vents mêlés à la pluie, aux éclats du tonnerre, à la furie des éclairs. D’autres ne se contentent pas de fermer les yeux, mais de leurs propres mains, placées l’une sur l’autre, ils se les couvrent pour ne pas voir le cruel massacre du genre humain lait par la colère de Dieu. Ah ! quelles lamentations ! Combien épouvantés se précipitent des rochers ! On voit les grands rameaux des grands chênes, chargés d’hommes, être emportés à travers les airs par la fureur des vents impétueux. » Beaucoup, avec des mouvemens désespérés, se tuent ; les uns s’étranglent de leurs mains, d’autres se frappent de leurs armes, quelques-uns tuent leurs enfans, d’autres,, à genoux, se recommandent à Dieu : « Que de mères pleurent leurs fils noyés, les tenant sur leurs genoux, levant les bras ouverts vers le ciel et, avec des cris faits de tous les gémissemens, accusent la colère des dieux. »

Consultez maintenant les dessins qui illustrent cette description ; l’effet obtenu est celui d’une scène fantastique. Le plus curieux de tous est un dessin à l’encre de Chine, invraisemblable pour vouloir être trop vrai. En haut, des anges, dont les formes se fondent avec celles des nuages, soufflent la tempête. Mêlées à la pluie, les nuées tourbillonnent, s’enroulent et se déroulent comme d’immenses chevelures secouées ; çà et là, des écroulemens, les débris des cités humaines emportés dans la tourmente ; à droite, en bas, des chevaux affolés, renversés avec leurs cavaliers, roulés sur le sol ; des hommes jetés bas, cramponnés à la terre ; les cheveux, les draperies, les corps mêmes dans le sens du vent en marquent l’irrésistible furie ; en avant, un petit arbre courbé jusqu’à terre est embrassé par des hommes, désespérément ; en arrière, un grand chêne, plié comme un roseau, les racines arrachées, les branches de toutes parts envolées ; plus loin, un tronc brisé, chargé d’hommes, fend l’espace. Tel est Léonard. Il emprunte à la nature ses images, mais pour donner à ses fictions