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se change en l’apparence des choses qui lui font face (§ 56). « Il est bon que dans son lit, au sein des ténèbres, « il repasse en imagination et suive, comme par un dessin intérieur, les lignes des formes qu’il a étudiées pendant le jour pour en enrichir sa mémoire (§ 67). » S’amusant à diviser des lignes, à mesurer ou comparer des distances, jusque dans ses jeux « il doit travailler à se faire un bon jugement de l’œil. » Il faut qu’il vive les yeux ouverts, avec la perpétuelle préoccupation de son art, qu’il regarde les gens qui causent ou se disputent, qu’il s’arrête aux scènes de la rue, « qu’il cherche la justesse (prontitudine) des mouvemens dans les actes faits par les hommes, spontanément, sous le coup d’une émotion puissante,  » toujours le crayon à la main pour fixer et garder ces images éloquentes et précises. Le savant, je le retrouve plus encore dans l’idée très nette des sciences que suppose la peinture, dans leur étude approfondie, dans l’horreur de la routine, du procédé mécanique, dans la volonté de faire l’artiste toujours maître de ses moyens, en lui en donnant l’intelligence ; dans le mépris enfin de l’à-peu-près, dans le goût de la vérité, du détail exact, de l’imitation précise, des images qui par le relief donnent à l’œil l’illusion de la réalité même.

Mais c’est pour l’art que tout est fait, c’est par lui seul que tout le reste s’entend. Le langage n’a de sens que par la pensée, la forme que par ce qu’elle exprime. Léonard n’abuse pas des phrases sur la beauté, il en garde le sentiment profond. En analysant les formes, il ne perd pas le sens « de cette qualité qui fait l’ornement et la beauté du monde. » C’est « la divine beauté qui console l’âme de sa prison corporelle (§ 24)… Qui perd les yeux perd la beauté de l’univers et reste semblable à un homme qui serait enfermé vivant dans une sépulture où il aurait mouvement et vie (§ 28). » L’œil est « le seigneur des sens,  » c’est à lui que nous devons de saisir la beauté des choses créées, surtout de celles qui conduisent à l’amour (§ 16)… « O chose excellente par-dessus toutes les autres choses créées par Dieu, quelles louanges pourraient exprimer ta noblesse (§ 28) ! » L’âme ne peut résister au charme que la nature a répandu dans ses œuvres : « Qui t’entraîne, ô homme, à abandonner ta demeure à la ville, à laisser parens et amis, et à aller dans les lieux champêtres, par les monts et vallées, sinon la beauté naturelle du monde dont tu jouis par le sens de la vue (§ 23) ! » Plus parfaite encore est la beauté de la forme humaine, et plus persuasive d’amour : en sa présence tous les sens ravis vont comme au-devant d’elle et la voudraient posséder (§ 23).

La science est au service de cette beauté divine. Elle nous donne la puissance de la créer, d’en multiplier les manifestations ici-bas. Sans elle nous pourrions peut-être redire ce qui est ; par elle nous