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dans le dernier détail, travail et repos de l’esprit et du corps, matières et méthodes de l’enseignement, livres de classe, morceaux à traduire ou à réciter, liste de 1,500 volumes pour chaque bibliothèque, avec défense d’en introduire un de plus sans une permission du Grand-Maître, heures, durée, emploi, tenue des classes, des études, des récréations, des promenades, c’est-à-dire, chez les maîtres et encore plus chez les élèves, l’étranglement prémédité de la curiosité native, de la recherche spontanée, de l’originalité inventive et personnelle, tellement qu’un jour, sous le second Empire, un ministre, tirant sa montre, pourra dire avec satisfaction : « À cette heure, dans telle classe, tous les écoliers de l’empire expliquent telle page de Virgile. » — A l’aspect de ce mécanisme qui remplace partout les initiatives d’en bas par la compression et l’impulsion d’en haut, des étrangers instruits, judicieux, impartiaux et même bienveillans[1] sont frappés de surprise. « La loi veut que la jeunesse ne reste jamais pendant un seul instant abandonnée à elle-même ; les enfans sont sous les yeux des maîtres toute la journée » et toute la nuit ; hors du règlement, tout pas est un faux pas, toujours réprimé par l’autorité toujours présente. Et, en cas d’infraction, les châtimens sont sévères : « Selon la gravité des cas[2], les élèves seront punis d’une détention de trois jours à trois mois dans l’intérieur du lycée ou du collège, dans un local destiné à cet effet ; si les père, mère ou tuteur s’opposaient à ces mesures, l’élève leur sera remis, et ne pourra plus être reçu dans aucun autre lycée ou collège de l’université, » ce qui, par l’effet du monopole universitaire, le prive désormais de tout enseignement, à moins que ses parens, assez riches, ne puissent lui donner un précepteur à domicile. « Tout ce que peut opérer une forte discipline, celle-ci l’obtient[3], et peut-être mieux en France que dans aucun autre pays : » car, si les jeunes gens qui sortent du lycée ont perdu l’usage de leur volonté propre, ils ont acquis « le goût de l’ordre, des habitudes de subordination et de ponctualité » qui manquent ailleurs.

Cependant, dans cette voie droite et tout entière tracée, tandis que la règle les maintient, l’émulation les pousse. En ceci, le nouveau corps universitaire qui, selon Napoléon lui-même, doit être

  1. Hermann Niemeyer, Beobachtungen, etc., II, 350. « Un très digne homme, professeur dans un des collèges royaux, me disait : — Quels pas en arrière avons-nous dû faire ! Comme cette contrainte nous a ôté tout le plaisir d’enseigner, tout amour de notre art ! »
  2. Hermann Niemeyer, Beobachtungen, etc., II, 339. — Décret du 15 novembre 1811, art. 77.
  3. Hermann Niemeyer, ibid., II, 353.