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veut « qu’on remplisse la diligence de bons soldats pour ses armées, » de bons fonctionnaires pour ses administrations, de bons et zélés sujets pour son service. — Et, là-dessus, dans le décret qui institue l’Université, après la phrase de parade, il écrit la phrase de vérité et de fond. « Toutes les écoles de l’Université prendront pour base de leur enseignement la fidélité à l’Empereur, à la monarchie impériale dépositaire du bonheur des peuples, à la dynastie napoléonienne conservatrice de l’unité de la France et de toutes les idées libérales proclamées par les Constitutions. » En d’autres termes, il s’agit de donner aux enfans, aux adolescens et aux jeunes gens la foi civile, de les faire croire à la beauté, à la bonté, à l’excellence de l’ordre établi, de prédisposer leur cœur et leur esprit en faveur du système, de les adapter à ce système[1], à la concentration de l’autorité et à la centralisation des services, à l’uniformité et à l’encadrement, à l’égalité dans l’obéissance, au concours, à l’entraînement, bref à l’esprit du règne, aux combinaisons de la pensée compréhensive et calculatrice qui, revendiquant pour soi et s’adjugeant en propre tout le champ de l’action humaine, y plante partout ses poteaux, ses barrières, ses compartimens rectilignes, dresse et dispose des lices, convoque et introduit les coureurs, les pousse en avant, les stimule à chaque stade, réduit leur âme à la volonté fixe d’avancer vite et loin, et ne laisse à l’individu de motif pour vivre que l’envie de figurer aux premiers rangs dans la carrière où, tantôt par choix, tantôt par force, il se trouve inclus et lancé.

A cet effet, deux sentimens sont requis chez les adultes et partant chez les enfans : le premier est l’acceptation passive d’une règle imposée, et nulle part, autant que sous le régime universitaire, la règle, appliquée d’en haut, n’enserre et ne dirige la vie totale par des injonctions si précises et si multipliées. Cette vie scolaire est circonscrite et définie d’après un plan rigide, unique, le même pour tous les collées et lycées de l’Empire, d’après un plan impératif et circonstancié qui prévoit et prescrit tout jusque

  1. Fabry, ibid., III, 120. (Tableau du régime des lycées par un élève qui a passé plusieurs années dans deux lycées.) Prix de la pension : 900 francs, insuffisance de la nourriture et de l’habillement, cours et dortoirs encombrés, trop d’élèves dans chaque classe, profits du proviseur qui mange très bien, donne chaque semaine un dîner brillant à trente personnes, prélève sur le dortoir, déjà trop étroit, une salle de billard, s’approprie une terrasse plantée de beaux arbres. Le censeur, l’économe, l’aumônier, le sous-directeur font de même, quoique un peu moins. Les maîtres d’étude sont aussi mal nourris que les élèves. Punitions dures, nulle remontrance ou direction paternelle, maîtres d’étude rossés quand ils veulent appliquer la règle, méprisés des supérieurs et sans influence sur les élèves. — « Le libertinage, la paresse, l’intérêt, animaient tous les cœurs, aucun lien d’amitié n’unissait les maîtres aux élèves, ni les élèves entre eux. »