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l’empire ; sa grandeur relèvera la condition et le cœur de ses subordonnés. En province, dans chaque fête ou cérémonie publique, ils seront fiers de voir leur recteur ou proviseur en costume d’apparat, siégera côté du général ou du préfet en grand uniforme[1]. La considération témoignée à leur chef rejaillira sur eux ; ils en jouiront avec lui ; ils se diront qu’eux aussi, comme lui et sous lui, tous ensemble, ils forment une élite ; par degrés, ils se sentiront solidaires, ils acquerront l’esprit de corps, et ils s’attacheront à l’Université, comme un soldat à son régiment ou comme un religieux à son ordre.

Ainsi que dans un ordre monastique, on entrera dans l’Université par a une prise d’habit[2]. » — « Je veux, dit Napoléon, qu’on mette quelque solennité dans cet acte ; je veux que les membres du corps enseignant contractent, non pas un engagement religieux comme autrefois, mais un engagement civil devant notaire, ou devant le juge de paix, ou le préfet, ou tout autre… Ils épouseront l’instruction publique, comme leurs devanciers épousaient l’Église, avec cette différence que ce mariage ne sera pas aussi sacré, aussi indissoluble… Ils s’engageront, pour trois ans, ou six ans ou neuf ans, à ne pouvoir quitter, sans prévenir un certain nombre d’années d’avance. » Pour accroître la ressemblance, « il faut établir ici le principe du célibat, en ce sens qu’un homme qui se consacre à l’enseignement ne puisse se marier qu’après avoir franchi les premiers degrés de sa carrière, » par exemple, « que les maîtres d’étude ne puissent se marier qu’à l’âge de vingt-cinq ou trente ans, quand ils auront obtenu un traitement de trois ou quatre mille francs et fait des économies suffisantes. » Mais, au fond, le mariage, la famille, la vie privée, qui sont des choses naturelles et normales dans la grande société humaine, sont des causes de trouble et de faiblesse dans un corps où les individus, pour être de bons organes, doivent se donner sans réserve et tout entiers. « À l’avenir[3], non-seulement les maîtres d’étude, mais encore les proviseurs et censeurs des lycées, les principaux et régens des collèges seront astreints au célibat et à la vie commune. » — Dernier trait complémentaire et significatif, qui donne à l’institution laïque toute la physionomie d’un couvent : « Aucune femme ne pourra être logée ni reçue dans l’intérieur des lycées et des collèges. »

— Maintenant, au principe monastique du célibat ajoutons

  1. Procès-verbaux des séances du conseil de l’Université (manuscrits). Mémoire du 1er février 1811 sur les moyens de développer dans l’Université l’esprit de corps. Dans ce mémoire communiqué à l’empereur, le motif ci-dessus est allégué.
  2. Pelet de la Lozère, ibid.
  3. Décret du 17 mars 1808, art. 101, 102.