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je ne veux ni l’une ni l’autre. » Pour le nouvel établissement, deux conditions sont requises. Avant tout, « je veux une corporation, parce qu’une corporation ne meurt pas ; » seule, par sa perpétuité elle peut maintenir l’enseignement dans la voie tracée, élever « d’après des principes fixes » les générations successives, assurer ainsi la stabilité de l’État politique, « inspirer à la jeunesse un esprit et des opinions conformes aux lois nouvelles de l’empire. » Mais cette corporation sera laïque ; ses membres seront « des jésuites[1] » d’État, et non d’Église ; ils appartiendront à l’empereur, non au pape, et ils formeront, sous la main du gouvernement, une milice civile, composée « de dix mille personnes environ, » administrateurs et professeurs de tout degré, y compris les maîtres d’étude, une milice organisée, cohérente et permanente.

Puisqu’elle est laïque, on n’a pas de prise sur elle par le dogme, la foi, le paradis et l’enfer, par les aiguillons spirituels ; en conséquence, on emploiera les temporels, non moins efficaces, quand on sait les manier, l’amour-propre, l’émulation, l’imagination, l’ambition, l’espoir grandiose et vague de l’avancement indéfini, bref, les moyens et les motifs qui déjà dans l’armée maintiennent la consistance et le zèle. « On imitera dans le corps enseignant la classification des grades militaires ; » on y instituera « un ordre d’avancement, » une hiérarchie de places ; nul n’arrivera aux supérieures qu’après avoir traversé les inférieures ; « on ne pourra devenir proviseur qu’après avoir été professeur, ni professer dans les hautes classes qu’après avoir professé dans les basses. » — Et, d’autre part, les plus hauts offices seront accessibles à tous ; « les jeunes gens qui se voueront à l’enseignement auront la perspective de s’élever, d’un grade à l’autre, jusqu’aux premières dignités de l’État. » Autorité, importance, titres, gros traitemens, prééminences, préséances, il y en aura dans l’Université comme dans les autres carrières publiques, et de quoi fournir aux plus beaux rêves[2]. « Les pieds de ce grand corps[3] seront dans les bancs du collège, et sa tête dans le sénat. » Son chef, le Grand-Maître, unique en son espèce, moins assujetti, plus libre de ses mains que les ministres eux-mêmes, sera l’un des principaux personnages de

  1. Le mot a été prononcé par Napoléon : « Je veux une corporation, non de jésuites qui aient leur souverain à Rome, mais de jésuites qui n’aient d’autre ambition que celle d’être utiles et d’autre intérêt que l’intérêt public. »
  2. Cette intention est formellement exprimée dans la loi. (Décret du 17 mars 1808, art. 30.) « Aussitôt après la formation de l’université impériale, l’ordre des rangs sera suivi dans la nomination des fonctionnaires, et nul ne pourra être appelé à une place sans avoir passé par les plus inférieures. Les emplois feront ainsi une carrière qui présentera au savoir et à la bonne conduite l’espérance d’arriver aux premiers rangs de l’université impériale. »
  3. Pelet de la Lozère, ibid.