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treize ans ; pour être bien sûr de les avoir, il les fait prendre à domicile et amener par des gendarmes. Avec eux, on compte à La Flèche 90 autres Italiens de grande famille, des Doria, des Pallavicini, des Alfieri, 120 jeunes gens des provinces illyriennes, d’autres encore fournis par les pays de la Confédération du Rhin, en tout 360 pensionnaires à 800 francs par an. Parfois les parens ont pu accompagner ou suivre leurs enfans, s’établir à leur portée ; cela n’a pas été permis au prince Patrizzi ; il a été arrêté en route, retenu à Marseille, et on l’y détient. — De cette façon, par la combinaison savante des prescriptions législatives et de l’arbitraire nominatif, Napoléon, directement ou indirectement, devient en fait le seul maître enseignant de tous les Français, anciens ou nouveaux, l’unique et universel éducateur dans son empire.


III

Pour cette besogne, il lui faut un bon instrument, une grande machine humaine qui, construite, articulée et montée par lui, travaille désormais seule et d’elle-même, sans écarts ni accrocs, conformément à ses instructions et toujours sous ses yeux, mais sans qu’il ait besoin d’y porter la main et d’intervenir personnellement dans son jeu prédéterminé et calculé. En ce genre, les plus beaux engins sont les ordres religieux, chefs-d’œuvre de l’esprit catholique, romain et gouvernemental, tous manœuvres d’en haut, d’après une règle fixe, en vue d’un but défini, sortes d’automates intelligens, seuls capables d’opérer indéfiniment, sans déperdition de force, avec suite, uniformité et précision, avec un minimum de frais et un maximum d’effet, et cela par le seul jeu de leur mécanisme interne, qui, coordonné d’avance et tout entier, les adapte tout entiers et d’avance au service spécial, à l’œuvre sociale qu’une autorité reconnue et une pensée supérieure leur ont assignés comme emploi. — Rien de mieux approprié à l’instinct social de Napoléon, à son imagination, à son goût, à son parti-pris politique, et là-dessus, il déclare hautement ses préférences. « Je sais, dit-il au Conseil d’État[1], que les jésuites ont laissé, sous le rapport de l’enseignement, un très grand vide ; je ne veux pas les rétablir, ni aucune corporation qui ait son souverain à Rome. » Pourtant, il en faut une : « Quant à moi, j’aimerais mieux confier l’éducation publique à un ordre religieux, que de la laisser telle qu’elle est aujourd’hui, » c’est-à dire libre, abandonnée aux particuliers. « Mais

  1. Pelet de la Lozère, ibid., 162, 163, 167. (Paroles de Napoléon au Conseil d’État, séances des 10 février, 1er, 11 et 20 mars, 7 avril, 21 et 29 mai 1806.)