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d’État. Dans les autres établissemens privés, c’est son propre uniforme qu’il impose, l’uniforme laïque, celui de ses collèges et lycées, « à peine de clôture ; » et, de plus, le tambour, la tenue, les mœurs, les manières, la régularité d’une caserne. Toute initiative invention, diversité, adaptation professionnelle ou locale est abolie[1]. « Je ne suis[2], écrivait M. de Lanneau, qu’un sergent-major d’études languissantes et morcelées,.. sous le tapage d’un tambour et sous les couleurs militaires. »

Contre ces envahissemens de l’institution universitaire, il n’y a plus d’asile public, ni même privé ; car le dernier refuge, l’éducation domestique à domicile, n’est pas respecté. En 1808[3], « parmi les familles anciennes et riches qui ne sont pas dans le système, » Napoléon en désigne dix par département et cinquante à Paris dont les fils, de seize à dix-huit ans, seront expédiés de force à Saint-Cyr, pour devenir à leur sortie sous-lieutenans dans l’armée[4]. En 1813, il en lève 10,000 autres, plusieurs fils de conventionnels ou de Vendéens, qui, sous le nom de gardes d’honneur, formeront un corps à part et tout de suite sont dressés dans une caserne. A plus forte raison, il importe de soumettre à l’éducation napoléonienne les fils des familles considérables et récalcitrantes, qui sont nombreuses dans les pays annexés. Déjà en 1802, le rapporteur Fourcroy[5] expliquait au corps législatif cet emploi politique et social de l’Université future. Muni du pouvoir discrétionnaire, Napoléon recrute à son choix des écoliers parmi ses sujets récens ; seulement, ce n’est pas dans un lycée qu’il les met, mais dans une école encore plus militaire, à La Flèche, dont tous les élèves sont des fils d’officiers et, pour ainsi dire, des enfans de troupe. Vers la fin de 1812, il commande au prince romain Patrizzi[6] d’y envoyer ses deux fils, l’un de dix-sept ans, l’autre de

  1. Décret du 17 mars 1808, article 38. Parmi « les bases de l’enseignement, » le législateur pose « l’obéissance aux statuts qui ont pour objet l’uniformité de l’instruction. »
  2. Quicherat, III, 128.
  3. Le Régime moderne, I, 208, 2112.
  4. Pour comprendre tout l’effet de cette éducation forcée, voir, dans les Mécontens de Mérimée, le rôle du lieutenant marquis Edouard de Nangis.
  5. Recueil, par A. de Beauchamp, Rapport de Fourcroy, 20 avril 1802 : « Les peuples réunis à la France, qui, parlant un langage différent et accoutumés à des institutions étrangères, ont besoin de renoncer à d’anciennes habitudes et de se former sur celles de leur nouvelle patrie, ne peuvent trouver chez eux les moyens nécessaires pour donner à leurs fils l’instruction, les mœurs, le caractère qui doivent les confondre avec les Français. Quelle destinée plus avantageuse pour eux, et, en même temps, quelle ressource pour le gouvernement, qui ne désire rien tant que d’attacher ces nouveaux citoyens à la France !
  6. Journal d’un détenu de 1807 à 1814 (1 vol., 1828, en anglais), p. 167. (Récit de Charles Choderlos de Laclos, qui était alors à La Flèche.)