Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

précisément encore, il compte sur la nouvelle institution pour se faire dresser et tenir à jour un répertoire de police universel et complet. « Il faut constituer ce corps de manière à avoir des notes sur chaque enfant depuis l’âge de neuf ans. » Ayant saisi les adultes, il veut saisir aussi les enfans, surveiller et faire d’avance les Français futurs ; élevés par lui, sous sa main ou sous ses yeux, ils seront des auxiliaires tout dressés, des sujets dociles, plus dociles que leurs parens. Chez ceux-ci, il y a trop d’âmes encore insoumises et réfractaires, trop de royalistes et trop de républicains ; de famille à famille, les traditions domestiques se contredisent ou divergent, et les enfans ne croissent à domicile que pour se heurter plus tard dans le monde. Prévenons ce conflit, préparons-les à la concorde ; élevés tous de la même façon et dans le même esprit, ils se trouveront un jour unanimes[1], non-seulement en apparence, comme aujourd’hui, par crainte et de force, mais en fait et à fond, par habitude invétérée, par adaptation préalable de l’imagination et du cœur. Sinon, « il n’y aura point d’état fixe politique[2] » en France : « tant qu’on n’apprendra point, dès l’enfance, s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l’Etat ne formera pas une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues, il sera constamment exposé aux désordres et aux changemens. » — En conséquence, il s’attribue le monopole de l’instruction publique, il aura seul le droit de la fabriquer et de la débiter, comme le sel et le tabac : « L’enseignement public[3], dans tout l’Empire, est confié exclusivement à l’Université. Aucune école, aucun établissement quelconque d’instruction » supérieure, secondaire, primaire, spéciale, générale, collatérale, laïque, ecclésiastique, « ne peut être formé hors de l’Université impériale et sans l’autorisation de son chef. »

Dans cet enclos et sous cette direction roulent et fonctionnent toutes les manufactures de la denrée scolaire, et il y en a de deux sortes. Les unes, au plus bel endroit, reliées entre elles et

  1. A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlemens sur l’enseignement supérieur, 4 vol. (Rapport de Fourcroy au Corps législatif, 6 mai 1806.) « De quelle importance n’est-il pas… que le mode d’éducation reconnu comme le meilleur joigne à cet avantage celui d’être uniforme pour tout l’Empire, de donner les mêmes connaissances, d’inculquer les mêmes principes à des individus qui doivent vivre dans la même société, ne faire en quelque sorte qu’un seul corps, n’avoir qu’un même esprit et concourir au bien public par l’unanimité des sentimens et des efforts ? »
  2. Pelet de la Lozère, 154.
  3. A. de Beauchamp, ibid. (Décret du 7 mars 1808.) — Sont soumises à l’autorisation préalable et à la rétribution universitaire les écoles spéciales et collatérales qui enseignent des matières non enseignées dans les lycées, par exemple les langues vivantes, qui se bornent à combler une lacune, et qui ne font point concurrence aux lycées. (Arrêt de la cour de Lyon, 14 février 1832.)