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charte de l’endroit, une sorte de code qui leur prescrit ou interdit tel genre de conduite ; de même à l’école : une règle expresse, jointe à beaucoup de règles tacites, y est observée, et compose un moule dont l’empreinte s’enfonce à demeure dans les esprits et dans les âmes. Quel que soit un enseignement public, que l’objet en soit laïque ou ecclésiastique, qu’il ait pour matière les choses de la religion ou les choses de la science, du plus bas au plus haut de l’échelle, depuis l’école primaire et le catéchisme jusqu’au grand séminaire, aux écoles supérieures et aux Facultés, voilà en abrégé l’institution scolaire. De tous les engins sociaux, elle est peut-être le plus puissant, le plus efficace ; car, sur les jeunes vies qu’elle enserre et dirige, elle a trois sortes d’influences, l’une par le maître, l’autre par les condisciples, la dernière par le règlement.

D’une part, le maître, qui passe pour savant, enseigne avec autorité, et les écoliers, qui se sentent ignorans, apprennent avec confiance ; ainsi, presque tout ce qu’il leur dit, vrai ou faux, ils le croient. — D’autre part, par-delà sa famille et le cercle domestique, l’élève trouve, dans le groupe de ses camarades, un petit monde nouveau, différent, complet, qui a ses façons et ses mœurs, son point d’honneur et ses vices, son esprit de corps, en qui s’ébauchent des jugemens indépendans et spontanés, des divinations hasardées et précoces, des velléités d’opinion à propos de toutes les choses divines et humaines. C’est dans ce milieu qu’il commence à penser par lui-même, au contact de ses pareils et de ses égaux, au contact de leurs idées, bien plus intelligibles et admissibles pour lui que celles des hommes faits, partant bien plus persuasives, excitantes et contagieuses ; elles sont l’air ambiant et pénétrant dans lequel sa pensée lève, pousse et se forme ; il y prend sa façon d’envisager la grande société d’adultes dont il va devenir un membre, ses premières notions du juste et de l’injuste, par suite, une attitude anticipée de respect ou de révolte, bref un préjugé : selon que l’esprit du groupe est raisonnable ou déraisonnable, ce préjugé est sain ou malsain, social ou antisocial. — Enfin, la discipline de l’école fait son effet ; quel que soit le régime de la maison, libéral ou autoritaire, lâche ou strict, monacal, militaire ou mondain, externat ou internat mixte ou pur, à la ville ou à la campagne, avec prédominance de l’entraînement gymnastique ou du travail cérébral, avec application de l’esprit à l’étude des choses ou à l’étude des mots, l’élève entre dans un cadre fabriqué d’avance. Selon les diversités du cadre, il pratique des exercices différens, il contracte des habitudes différentes, il se développe ou se rabougrit au physique ou au moral, dans un sens ou dans le sens contraire. Partant, selon que le cadre est