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fougue bulgare. Resterait donc l’Angleterre qui, seule, aurait pu se prêter aux impatiences aventureuses des politiques de Sofia ; mais l’Angleterre elle-même n’irait pas sans doute jusqu’à prendre directement, ouvertement la responsabilité d’une rupture déclarée du traité de Berlin qui lui a donné Chypre. Ce qu’elle a fait, c’est pour avoir une diversion de circonstance dans les Balkans, pour occuper la Porte, dans un moment où elle est exposée à avoir des démêlés avec la Russie en Perse, et où elle avait à régler ses affaires en Égypte, au Caire. Au fond, c’est là peut-être tout le secret de cette campagne bulgare qui, une fois l’affaire égyptienne réglée, risque de rester sans résultat et sans écho en Europe, — jusqu’à une occasion plus opportune où on croira pouvoir la recommencer.

Est-ce donc que cette crise récente de la transition de règne au Caire ait été un péril ? Elle n’a pas été, si l’on veut, un péril, puisqu’il n’y avait aucune contestation, ni sur la transmission de la couronne khédiviale de Tewfik au jeune Abbas-Pacha, ni sur les conditions générales de l’Égypte ; elle a du moins soulevé des questions aussi compliquées que délicates entre la Sublime-Porte, qui tient à maintenir dans leur intégrité ses droits traditionnels, reconnus, de suzeraineté sur la vallée du Nil, et l’Angleterre qui veille avec un soin jaloux sur les prérogatives d’un protectorat considéré toujours comme provisoire. La lenteur même qui a été mise à la préparation du firman d’investiture que le sultan a chargé Eyoub-Pacha de porter au Caire, et à la promulgation définitive, solennelle du firman, cette lenteur prouve que tout ne s’est pas passé sans difficultés, sans négociations intimes et peut-être épineuses. Par le fait, le nouveau firman, lu il y a quelques jours à peine devant le palais d’Abdin, n’est guère que la reproduction des anciens firmans. Il résume, dans le langage oriental, les droits, les réserves, les prérogatives de la puissance suzeraine, les privilèges de semi-indépendance accordés à la vice-royauté vassale ; il précise les rapports, les obligations. Le sultan, paraît-il, avait seulement négligé de comprendre parmi les territoires égyptiens la péninsule du Sinaï sur la Mer-Rouge, entre les golfes de Suez et d’Akabah. Il avait peut-être oublié ce territoire, — il l’avait peut-être omis avec intention, — et le représentant de l’Angleterre, sir Evelyn Baring, s’est donné aussitôt le facile mérite de revendiquer une province ou une région que l’Égypte administre depuis assez longtemps. C’est là que des difficultés intimes se sont élevées ; elles ont été d’ailleurs facilement résolues et par l’intervention du commissaire ottoman au Caire, Mouktar-Pacha, et par les conseils tout concilians des représentans de la France et de la Russie à Constantinople. Le sultan s’est décidé non pas à refaire son firman, mais à le compléter par un iradé, un simple iradé ou acte particulier, qui confie au khédive l’administration de la péninsule sinaïque.