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accusée d’être la protectrice des émigrés bulgares, résumant ses griefs dans une note tapageuse, pour finir par réclamer la reconnaissance du prince Ferdinand et par menacer de proclamer l’indépendance de la principauté. Bref, la mort de M. Voulkovitch a été tout simplement le prétexte d’une nouvelle campagne diplomatique organisée avec fracas pour imposer la sanction des faits accomplis en Bulgarie. M. Stamboulof a été naturellement aidé dans son œuvre par les journaux autrichiens ou anglais, toujours prêts à accueillir tout ce qui peut favoriser la révolution bulgare, tout ce qui peut réveiller les suspicions et les animosités contre la Russie ou même contre la Porte.

Une fois de plus, avec ses tactiques, en essayant de grossir un incident malheureux et d’en tirer avantage, le petit dictateur de Sofia aura peut-être fait beaucoup de bruit pour rien. À quoi peut-elle conduire, en effet, cette campagne engagée à Constantinople ? Elle n’est évidemment qu’une fantaisie agitatrice. Si M. Stamboulof, en fatiguant le sultan de ses obsessions, s’est flatté d’obtenir de lui la reconnaissance du prince Ferdinand, il s’est abusé, il s’est trop fié à ses ruses d’Oriental. La Porte seule ne peut rien. C’est le traité de Berlin qu’il faut modifier ; c’est aux puissances liées par ce traité, gardiennes des conventions européennes, qu’on doit s’adresser, et c’est peut-être prendre un singulier moyen pour arriver à un résultat que de commencer par se donner des airs d’arrogante inimitié vis-à-vis de la Russie. Tant que les puissances ne se seront pas entendues pour réformer ce qu’elles ont fait en commun, la Bulgarie restera avec son prince d’aventure, son turbulent premier ministre et son état révolutionnaire.

Quel a pu être le mobile ou le calcul de M. Stamboulof dans cette dernière équipée ? A-t-il cru pouvoir raffermir son crédit peut-être un peu ébranlé auprès de son prince et refaire sa position, sa popularité par une bruyante démonstration de diplomatie ? Ce n’est point impossible. A-t-il espéré pouvoir entraîner l’Autriche à sa suite et trouver quelque appui à Vienne ? Le cabinet impérial, au fond, peut sans doute lui être favorable et trouver bon d’avoir à Sofia un petit point d’appui contre l’influence russe. M. de Kalnoky a pu, en certaines circonstances, donner ses conseils et ses encouragemens à un état qui lui plaît. Pour le moment, l’Autriche a trop besoin de la paix dans l’intérêt de ses finances, de ses affaires intérieures, pour se laisser compromettre par les fantaisies de M. Stamboulof. Elle sait bien que la reconnaissance du prince Ferdinand, de la révolution accomplie à Philippopoli comme à Sofia déciderait une crise des plus graves dans les relations européennes. Elle n’a pas envie de risquer une rupture avec la Russie, de remettre en discussion, pour le plaisir de M. Stamboulof, un traité qui lui garantit l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine ; si elle est intervenue, elle l’a fait sûrement pour retenir, non pour exciter la