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dans son travail, dans son industrie, dans ses intérêts, dans son existence elle-même ! Est-ce qu’on croit que cela peut durer longtemps ainsi ? Est-ce qu’on ne voit pas qu’une société soumise à ce régime peut à tout instant, sans le vouloir, être livrée aux aventures ou aux captations de la force ?

Eh bien ! pour remédier à un mal qui n’a sans doute rien d’irréparable et ne sera, il faut le croire, que passager, qui est devenu cependant assez aigu pour arracher des cris au malade, qu’a-t-on fait ? que veut-on faire encore ? Ce n’est point certes par des sessions comme celle qui a été interrompue l’autre jour par les vacances de printemps, ce n’est pas avec des débats stériles, des interpellations brouillonnes, et de petites agitations que le parlement peut se flatter d’exercer une action salutaire. Sénateurs et députés, en s’éloignant pour quelques jours, en se dispersant pour aller assister aux élections municipales dans leurs provinces, n’ont pu emporter qu’un médiocre souvenir de ce qu’ils ont fait. Ce n’est pas non plus le gouvernement, qui, en se débattant dans ses incertitudes perpétuelles, a pu prévenir ou pourrait se flatter de guérir un mal devenu profond. On dirait que dans cette maussade session parlement et gouvernement, saisis d’une triste émulation, ont mis une sorte de déplorable zèle à détruire ou à laisser détruire une situation qui avait, il y a six mois à peine, toutes les apparences de la force, de l’éclat, et qui a si rapidement décliné. Que reste-t-il de cette situation rassurante et flatteuse pour la France devant l’Europe ? Six mois de session en ont eu raison. Chambres et ministres ont passé leur temps à s’épuiser en vaines discussions, à se tendre des pièges, à s’affaiblir mutuellement, à accroître les divisions et les confusions. Ils ne se sont entendus ou ils n’ont eu l’air de s’entendre que sur un point, — dans ces malheureuses affaires religieuses où les uns ont porté plus que jamais leurs passions de secte, les autres leurs tristes condescendances. On ne s’est remis d’accord tant bien que mal, périodiquement, que par des ordres du jour de guerre, par des menaces contre le clergé, par des recrudescences de poursuites contre les évêques. Et ce n’est même pas fini. Ces jours passés encore, c’était M. l’évêque de Mende qui se trouvait appelé devant le conseil d’État, et puis M. l’archevêque d’Avignon, et puis encore une fois M. l’archevêque d’Aix. Ils y passeront tous pour leurs manifestations plus ou moins opportunes peut-être, dans tous les cas bien inoffensives. Ce sont les évêques qui paient les frais de la session, — et par une saisissante coïncidence, tandis que cette malfaisante politique de guerre religieuse sévissait dans le parlement, l’anarchie brutale grandissait au dehors. Avec la dynamite on a pu voir où était le vrai danger. La question est maintenant de savoir si députés et sénateurs reviendront éclairés par une cruelle expérience, si avec le péril va renaître le sentiment des grandes nécessités publiques.