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Paris. L’auteur de ces crimes a été pris ; il a été jugé hier, et pendant qu’on le jugeait, avant qu’il fût condamné, une explosion nouvelle détruisait une maison, celle-là même où le criminel a été pris. L’explosion du boulevard Magenta a continué l’œuvre de la rue de Clichy et du boulevard Saint-Germain, en faisant cette fois plus de victimes. On a fait payer son honnêteté au brave industriel qui a signalé et aidé à prendre le triste héros du drame de la rue de Clichy.

Quelle est donc cette bande qui a visiblement son organisation, ses mots d’ordre, ses affiliés, comme elle a sa provision d’engins de meurtre ? Quels sont ces malfaiteurs ? où se cachent-ils ? Comment se procurent-ils la dynamite dont ils font un si redoutable usage ? A en juger par les tâtonnemens et les mouvemens un peu décousus de la police, on ne parait pas bien le savoir encore. On a fait, il est vrai, par précaution, à la veille du 1er mai, un assez grand nombre d’arrestations à Paris et dans quelques villes de province. On a dû jeter le coup de filet un peu au hasard ; on n’a pas du moins arrêté les plus dangereux, puisque c’est après les dernières arrestations que l’attentat du boulevard Magenta a éclaté. On n’a peut-être pas encore tout le secret de la sinistre affiliation et de ses moyens d’action. Une seule chose est certaine : c’est qu’ils ne reculent devant rien, qu’ils calculent avec quelque habileté leurs opérations, sans s’inquiéter des victimes qu’ils feront, sans se laisser arrêter par le moindre scrupule. Le singulier bandit, qui vient d’être jugé, en a dit assez pour prouver que lui et ses complices sont prêts à employer avec une parfaite indifférence tous les moyens, le meurtre, le vol, l’incendie. Ils procèdent par voie d’exécution sommaire ou par intimidation à l’égard des jurés et des magistrats qui les ont jugés ou qui peuvent être appelés à les juger, comme aussi à l’égard de ceux qui les dénoncent ou pourraient être tentés de les dénoncer. Ils mettent même une sorte de forfanterie à promener leurs menaces mystérieuses un peu de tous côtés, à « terroriser, » comme ils le disent. Ils réussissent du moins à effrayer et à faire parler d’eux. Ainsi, voilà une grande et puissante ville comme Paris, où une population tout entière est réduite à vivre sans sécurité, en se demandant sur quel point la dynamite va opérer, où des magistrats ne peuvent remplir leur mission sans être exposés à sauter dans leurs maisons, où l’on a besoin d’entourer de gardiens des juges ou des jurés, qui eux-mêmes n’osent pas aller jusqu’au bout de leur devoir. Et pour compléter le tableau, ajoutez des journaux qui passent leur temps à se faire les historiens de ces héros du crime et de leurs exploits, à divulguer les noms et les adresses des jurés, à embarrasser la police par leurs indiscrétions, à accuser le gouvernement, tantôt de faire trop d’arrestations, tantôt de n’avoir su rien prévenir. Étrange régime, on en conviendra, bien fait pour démoraliser une