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bonne humeur et sœurs des grâces. » Il désirait qu’à Baden comme ailleurs on s’occupât de procurer aux paysans d’agréables distractions, qu’on dansât beaucoup au village, et que, chaque dimanche, le bal fût ouvert par le berger ou le laboureur qui aurait le mieux répondu à une question de morale ou d’économie politique. Il esquissait des programmes de fêtes nationales et rustiques. Il voulait qu’en hiver on célébrât, comme en Chine, le culte des ancêtres, qu’en automne on fêtât la concorde et les réconciliations, au printemps, l’espoir des récoltes et l’espoir de la patrie, en été, les premières semailles et les mariages. — « Les filles qui devraient se marier dans ce grand jour seraient toutes vêtues de toile blanche avec des rubans roses. Tous ces jeunes cœurs battent, toutes ces belles joues sont colorées de l’incarnat le plus vif. Elles ne pourraient garder leur rang, si chacune n’avait sa mère à son côté pour soutenir sa marche et de distance en distance un vieillard pour la régler. Le charmant bataillon se déploie sur la droite de la place, et la musique célèbre son arrivée par les plus vives fanfares. De l’autre côté sont les amans, dont la tendresse doit être couronnée dans ce jour solennel. Le prince leur adresse un discours simple, pathétique et noble. Chacun d’eux, pour réponse, appuyant la main droite sur son fusil, dont la crosse est à terre, et passant le bras gauche autour de son accordée, lui donne un baiser sur la joue. Ce baiser doit être le serment de l’amour et du patriotisme. »

C’est du Rousseau très édulcoré, ou plutôt c’est du Bernardin de Saint-Pierre avant Bernardin. M. Carl Knies s’étonne qu’à la veille de la révolution, on eût le cœur si tendre, si pastoral et si romanesque. Mais il en sera de même au fort de la Terreur : les esprits seront tournés aux idylles, les fêtes proposées par Saint-Just ressembleront beaucoup à celles de Dupont, et l’imagination des hommes de sang aura des jours de derrière ouverts sur un Éden. La révolution a été tout à la fois une histoire et un roman.

La correspondance de Dupont avec le prince Charles-Louis abonde en réflexions intéressantes sur la politique intérieure de la France, sur les abus de l’ancien régime, sur la répartition inique de l’impôt, sur les funestes conséquences des exemptions et des privilèges, sur la manie des règlemens qui conduit à l’arbitraire et sur l’arbitraire qui produit le désordre et la confusion. C’était le temps où Turgot disait : « Vous avez quatre volumes in-4o d’instructions et de règlemens pour fixer la longueur et la largeur de chaque pièce d’étoffe tissue dans les manufactures, pour déterminer la longueur des fils dont elle sera composée ; mais dans ce même pays où la puissance publique s’abîme dans ces minutieux et ridicules détails, la loi abandonne à la jurisprudence des tribunaux, à l’arbitraire du juge, quoi ? l’application de la peine de mort. » Dupont se plaignait que les ordres les plus contradictoires étaient souvent expédiés le même jour, à la même heure,