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fut publié en tête des Ephémérides du citoyen de 1772. Il y enseignait que le seul gouvernement avantageux au genre humain est celui qui est conforme à l’ordre naturel, et que dans l’ordre naturel le droit de subsister est indissolublement lié au devoir de travailler, que les oisifs sont des voleurs. Lorsqu’en 1783 il abolit la servitude et supprima quelques impôts, il défendit à ses sujets de l’en remercier. Il leur représenta qu’en travaillant pour eux, il avait travaillé pour lui-même, que les souverains et les peuples forment une seule grande famille, que le bonheur du prince est solidaire de celui du laboureur et du berger.

La commission historique du grand-duché de Baden, qui a commencé la publication de la correspondance politique de Charles-Frédéric, vient de publier aussi sa correspondance en français avec le marquis de Mirabeau et Dupont de Nemours, précédée d’une introduction de M. Carl Knies sur l’état social de la France au XVIIIe siècle et sur l’école physiocratique[1]. La commission a mis tous ses soins à nous donner un texte correct, agréable à lire, accompagné de notes presque toujours instructives. On ne peut lui reprocher que quelques peccadilles, sur lesquelles je n’ai garde d’insister. Dupont de Nemours remarque dans une de ses lettres adressées au prince héréditaire Charles-Louis, fils de Charles-Frédéric, que la noblesse bretonne était plus disposée que le clergé et le tiers-état à défendre les intérêts des paysans. Il ajoutait : — « Lorsque ceux-ci éprouvent des surcharges et des vexations, c’est toujours de l’avis du clergé, qu’on paie par des bénéfices. » — Les éditeurs se sont crus tenus de nous expliquer « qu’il s’agissait ici des dons volontaires accordés au roi dans les pays d’États. » — Que n’ont-ils ouvert un dictionnaire ? ils auraient su ce qu’étaient ces bénéfices qui pouvaient servir à récompenser la complaisance des gens d’église. Ailleurs, on fait dire au marquis de Mirabeau, qui, en 1787, à l’âge de soixante-douze ans, envoyait au margrave un écrit publié par lui avant l’ouverture de l’assemblée des notables : — « C’est le dernier essai de combat du vieux entaille. » — Ne lit-on donc plus Virgile dans le grand-duché ? N’y a-t-on jamais entendu parler d’Entelle ?

Si l’on ne jugeait de l’école physiocratique que par l’immortel pamphlet de l’Homme aux quarante écus, on s’expliquerait difficilement l’influence considérable que cette hérésie économique et paradoxale exerça sur les esprits. Les physiocrates ne se bornaient pas à disserter sur le despotisme légal et la puissance exécutrice et législative, à soutenir que, tout venant de la terre, la terre seule, roturière ou noble,

  1. Carl Friedrichs von Baden brieflicher Verkehr mit Mirabeau und Du Pont, herausgegeben von der Badischen historischen Commission, 2 vol. in-8o. Heidelberg, 1892.